Introduction
Une vérité provisoire

Anne Beyaert-Geslin

CeReS, Université de Limoges

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Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Mots-clés : adéquation, cohérence, jugement épistémique, photographie, régime de croyance, véridiction, vérité

Auteurs cités : Roland BARTHES, Pascal Beausse, Denis BERTRAND, Anne BEYAERT-GESLIN, Pascal Bonitzer, Edmond Couchot, Philippe Dubois, Thierry De Duve, Mickaël Fried, Nelson GOODMAN, Algirdas J. GREIMAS, Eric LANDOWSKI, Denis Roche, Jean-Marie SCHAEFFER, Susan SONTAG, Natacha Wolinski, Claude ZILBERBERG

Plan
Texte intégral
Note de bas de page 1 :

 Yves Bonnefoy, L’Arrière-pays, Paris, Gallimard, 2005.

Note de bas de page 2 :

 Yves Bonnefoy, idem, p. 32.

Note de bas de page 3 :

 Algirdas Julien Greimas, Sémiotique et sciences sociales, Le seuil, 1976, pp. 18-19.

Note de bas de page 4 :

 Algirdas-Julien Greimas, Sémantique structurale, Recherche de méthode, PUF, 1986 (1970), p. 16. La proposition est reformulée dans Sémiotique et sciences sociales, le Seuil, 1976, (chapitre 2 le discours véridictoire).

La vérité est une notion essentielle mais malcommode qui, lorsqu’elle ne s’entoure pas de guillemets, se confond avec la « réalité » ou « l’effet de vivant », chacun de ces concepts avançant sous le masque de l’autre. Placer une recherche collective sous l’intitulé « la vérité des images » est de plus une démarche aussi saugrenue qu’ambitieuse car il n’est pas certain qu’une image dise jamais la vérité. Elle est séparée du monde, une chose à part, qui ne parvient jamais à surmonter cette « opposition entre les deux règnes » comme l’explique Bonnefoy12. Si elle n’est pas le monde, l’image établit néanmoins un certain rapport au monde et c’est précisément cette relation qu’il importe d’évaluer en prenant toujours la précaution d’une reformulation. Ainsi Greimas aborde-t-il la vérité à partir de la notion d’existence, préférant à la notion d’existence vraie une acception sémiotique qui dote les objets « d’une existence qui nous est révélée par un certain mode de leur présence dans le discours »3. La vérité apparaît alors comme une possibilité de « consolidation de l’existence sémiotique », une « caution supplémentaire » qui relève nécessairement d’une prise de position du sujet de l’énonciation vis-à-vis de son énoncé. Les principes d’une vérité discursive étant ainsi posés, Greimas se réfère à Hjelmslev  et à la double conception classique de la vérité conçue comme « cohérence interne » et comme « adéquation à la réalité »4.

Note de bas de page 5 :

 Zilberberg observe l’imbrication des deux procédés : « Bien entendu les discours et les programmes au service du faire persuasif ont soin d’ajuster les deux dimensions : celui qui argue de sa sincérité n’omettra pas de fournir à son interlocuteur au moins une preuve dite « matérielle » de sa bonne foi, de même que ce lui qui affirme l’authenticité d’un objet assurera son interlocuteur de sa parfaite sincérité. », Claude Zilberberg, Relecture de Bonne pensée du matin de Rimbaud, Nouveaux actes sémiotiques, n°s 107-108, Limoges, PULIM, p. 30.

Si l’approche sémiotique traditionnelle aborde la vérité à partir du jugement épistémique et la définit sur la coïncidence de l’être et du paraître qui fonde le jugement véridictoire, celle-ci se laisse également approcher par les notions d’authenticité et de sincérité. Au sens juridique, l’authenticité est une conformité et une validité par absence de falsification. Selon cette acception, l’authentique est digne de foi car rien ne s’est interposé entre l’énonciateur et l’objet que nous avons sous les yeux, aucune intentionnalité n’est venue le falsifier. L’authenticité induit donc une relation épistémologique entre un énoncé et son producteur et suppose l’introduction d’unobservateursusceptible d’effectuer le contrôle méthodologique de l’adéquation, les actes de confrontation et de comparaison qui établiront l’authenticité. Une autre confrontation peut cependant être faite qui met en rapport, non plus un sujet et un objet mais deux sujets. A cette aune, la vérité correspond alors à la sincérité5.

La vérité de la photographie

Note de bas de page 6 :

 Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1987 (1964), p. 66.

Si cette esquisse restitue quelques linéaments d’une approche généraliste de la vérité, elle fournit aussi les premiers éléments de compréhension d’une vérité de l’image sur laquelle aucune conception de la vérité en soi, fondée sur la « conformité de soi à soi »6 n’a de prise. La vérité relève nécessairement d’une prise de position du sujet et agit tel un métadiscours qui surmonte l’opposition des « deux règnes » inconciliables, en rejoignant ainsi la conception du poète Bonnefoy qui accorde à la parole seule, et non à l’image, un accès à la vérité. Cette première approche de la vérité de l’image oblitère néanmoins les spécificités de la photographie auxquelles l’actualité nous confronte avec insistance.

Note de bas de page 7 :

 Edmond Couchot, La technologie dans l’art. De la photographie à la réalité virtuelle, Nîmes, Jacqueline Chambon ed., 1998.

Note de bas de page 8 :

 Marc Augé, Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, le seuil,1992, p. 45.

En effet la question de la vérité se pose avec une acuité particulière pour la photographie aujourd’hui, fût-ce parce que l’introduction de la technologie numérique a modalisé le régime ontologique de la photographie en lui ouvrant toutes les incertitudes interprétatives que soulève le « ça peut être » du numérique7 ou en raison de la « surabondance » d’images caractéristique de la « surmodernité »8.

Note de bas de page 9 :

 Roland Barthes, La chambre claire, Note sur la photographie, Cahiers du cinéma-Gallimard-le Seuil, 1980.

Note de bas de page 10 :

 Voir R. Barthes, La chambre claire, idem. Le « ça a été » est décliné pp. 121, 133 et 146 notamment. La mise en relation de la vérité et de la réalité est faite p. 121. Ce privilège de la réalité sur la vérité est également au principe de la « thèse d’existence » de Schaeffer qui soutient : « l’image photographique est toujours reçue comme étant la trace d’un événement réel ou d’une entité réellement existante (au moment de la prise de l’empreinte) » dans Jean-Marie Schaeffer, L’image précaire, Du dispositif photographique, Paris, Le seuil, 1987,  p. 122.

La photographie établit une relation singulière au monde, dont le prédicat ontologique « ça a été » porte témoignage9. Cependant, se satisfaire de son statut d’empreinte s’avère largement insuffisant car les usages et les pratiques construisent de nouvelles scènes prédictives qui la soumette à des interprétations et des évaluations diverses. Ainsi Barthes peine-t-il déjà à distinguer effet de réalité et vérité, lui-même ayant cédé à la confusion et « induit de la vérité de l’image, la réalité de son origine »10.

Note de bas de page 11 :

 « Ce qu’on photographie, c’est le fait qu’on prend une photo »observeDenis Roche, Ecrit sur la photographie, La disparition des lucioles (réflexions sur l’acte photographique ), Editions de l’étoile, 1982, p. 73, cité par Philippe Dubois, L’acte photographique, Nathan, 1990, p. 90.

Note de bas de page 12 :

 Jean-Marie Floch, Les formes de l’empreinte, Fanlac ed., 1986. Ce partage entre les tenants de la photo comme acte et de l’analyse textuelle sommaire écrase bien sûr des différences importantes.

Note de bas de page 13 :

Ce partage entre les tenants de la photo comme acte et de l’analyse textuelle écrase bien sûr des différences importantes. Si Floch se consacre à l’analyse des images proprement dites, il établit aussi un lien entre la textualité et la pratique. Barthes adopte un point de vue épistémologique mixte puisqu’il analyse la textualité en même temps qu’il théorise la production et la signification de l’empreinte du « ça a été ». Schaeffer se concentre sur les normes communicationnelles de la photographie.

Note de bas de page 14 :

 Roland Barthes, La chambre claire, Note sur la photographie, Cahiers du cinéma-Gallimard-Seuil, 1980, p. 160. Nelson Goodman, Langages de l’art, traduction française de J. Morizot, Hachette, 1968.

Note de bas de page 15 :

 Denis Roche, Ecrit sur l’image, La disparition des lucioles, idem, p. 126. Barthes décrit de même un « renversement de l’imaginaire » qui fait que « de nos jours, les images sont plus vivantes que les gens » R. Barthes, La chambre claire, idem, p. 181.

Note de bas de page 16 :

 « Les photos ne se contentent pas de rendre la réalité, au sens réaliste. C’est la réalité qui est scrutée, et évaluée en fonction de sa fidélité aux photos (..) Au lieu de se contenter d’enregistrer la réalité, les photographies sont devenues la norme de la façon dont les choses nous apparaissent, changeant du même coup jusqu’à l’idée de réalité et de réalisme ».Susan Sontag, Sur la photographie, Paris, Christian Bourgois ed., 1993, p. 112.

Selon le point de vue méthodologique adopté, celui de l’énonciation photographique11 ou de l’image photographique12, la vérité attendue recouvrira des contenus épistémologiques distincts, s’attachant tantôt à l’acte et à une conception performative de la vérité, tantôt à la textualité13reliée à différentes pratiques de production dont Floch pose le principe. Pour les tenants de l’analyse textuelle, la vérité ne se confond nullement avec la ressemblance, notion dont la déficience a été largement établie par Barthes et Goodman14. Cette notion s’avérant aussi intraitable que la vérité, une possibilité serait d’emboîter le pas de Barthes pour interroger la relation de la vérité au réel. Cette revendication du réel est en effet si forte qu’elle amène à se demander à l’instar de Roche « ce qui est le plus vrai : le réel (que l’image photographie) ou la photo qu’elle en donne »15. L’inversion comporte un risque de déréalisation du monde qu’a souligné Sontag car, si la photographie tient lieu de réalité, c’est à son aune qu’il faut désormais évaluer le monde16.

Note de bas de page 17 :

 Il s’agit de la proposition centrale de Edmond Couchot, La technologie dans l’art, De la photographie à la réalité virtuelle, Nîmes, Jacqueline Chambon ed., 1998.

Lorsque la photographie prétend au réel, elle ne parvient jamais qu’à le « surfaire » en associant à la représentation, l’ostension d’un collage et plus récemment la simulation du numérique17. Parmi ces différents dispositifs rhétoriques qui nous persuadent de la coïncidence de la vérité et de la réalité, l’« effet de vie » que la linguistique associe à l’hypotypose a été assez peu observé.

Note de bas de page 18 :

 R. Barthes, La chambre claire, idem, p. 31. Le caractère mortifère de la photographie a été fréquemment souligné, notamment par Roche qui, assumant son parti-pris méthodologique et considérant la photographie comme un acte, y voit un meurtre : « dans une photo « on y passe » au sens populaire du terme, c’est-à-dire qu’on y meurt ». D. Roche, Ecrit sur l’image, La disparition des lucioles, idem, p. 84.

Note de bas de page 19 :

 « On me fait sortir (« dehors, c’est plus vivant que « dedans »), on me fait poser devant un escalier parce qu’un groupe d’enfants joue derrière moi, etc». R. Barthes, La chambre claire, idem, pp. 30-31.

Note de bas de page 20 :

 Loin d’être un modèle isolé dans l’histoire de la photographie, cette image faiblement définie entre en résonance avec le système de l’instantané, et avec des pratiques de production basées sur la faible définition de l’image, tel le sténopé d’ailleurs remis en vogue par ce retour actuel du flou.

Barthes l’évoque pourtant, y voyant un effort pathétique pour combattre la « nappe mortifère de la pose »18. Les ayant maintes fois supportées en tant que modèle, il se gausse donc des « contorsions des photographes pour « faire vivant » et son commentaire suffit à révéler l’indigence des procédés rhétoriques censés nous persuader que le sujet représenté n’est pas un être de papier19. A ces vieilles recettes des praticiens, il convient cependant d’ajouter un procédé restauré20 par la photographie numérique récente et notamment par la photographie prise sur le lieux des attentats.

La vérité de la photographie de presse

Note de bas de page 21 :

 Anne Beyaert-Geslin, « La photo de presse : temps, vérité et photogénie », Recherches sémiotiques, semiotic inquiries, RSSI, (J. Baetens dir.), à paraître.

Note de bas de page 22 :

 Le terme de Bonitzer semble heureux car il traduit la rupture par rapport aux normes du cadrage et du point de vue. Pascal Bonitzer, « Décadrages », cahiers du cinéma, n° 284, janvier 1978.

Note de bas de page 23 :

 La catégorie /pose vs instantané/ est problématisée par De Duve. Thierry de Duve, « Pose et instantané, ou le paradoxe photographique », Essais datés I 1974-1986, Paris, Editions dela Différence, pp. 13-52.

Note de bas de page 24 :

 La figure de l’absorbement a été décrite par M. Fried, La place du spectateur, Esthétique et origines de la peinture moderne, Gallimard, 1990.

Note de bas de page 25 :

 Denis Bertrand, « La constitution d’une identité rédactionnelle : le cas de la presse télévisuelle », Entreprise et sémiologie, Analyser le sens pour maîtriser l’action (B. Fraenkel et C. Legris-Desportes dir.), Dunod, 1999.

Note de bas de page 26 :

 Claude Zilberberg, « Précis de grammaire tensive », Tangence 70, automne 2002, pp. 111-143.

En effet, et comme nous l’avons indiqué par ailleurs21,  l’image produite au photophone que nous avons intitulée photo de présence semble avoir révélé un nouveau modèle où la vérité apparaît sous le jour d’un effet de spontanéité. Les caractéristiques superficielles les plus apparentes de cette image sont le flou et le dé-cadrage22 qui révèle un point de vue errant sur l’action, deux marques superficielles témoignant du système de l’instantané23. Les actants sont représentés de dos, de trois-quart et absorbés dans une action24, ce qui contribue à l’effet de sens de spontanéité. Ainsi définies, ces photos ne livrent que peu d’éléments de compréhension de l’action mais pratiquent une immersion25 dans l’événement. Donnant à voir une intensité, elles témoignent, sans autre médiation, de ce que Zilberberg appelle le « feu » de l’événement26.

Cette description pourrait se poursuivre avec intérêt et révèlerait un modèle d’image parfaitement identifiable, qui reproduit le caractère étonnant de l’événement que Zilberberg associe au mode d’efficience du survenir, en même temps que son aspectualité spécifique productrice d’une lignée dans laquelle il entre en résonance avec d’autres occurrences auxquelles il donne sens, transformant ainsi des faits en évènements. Pour cette introduction à une réflexion sur la vérité, il suffirait d’observer les propriétés séminales de cette image que nous associons désormais à la vérité, à commencer par le flou : une photographie floue insérée dans le journal est interprétée comme une image vraie.

Note de bas de page 27 :

 Je reporte le lecteur à l’excellent numéro de la revue Communications n° 71 et notamment au texte de Gilles Saussier, « Situations du reportage, actualité d’une alternative documentaire », dans Communications n° 71 Le parti-pris du document, Littérature, photographie, cinéma et architecture au XXè siècle, p. 312. Saussier décrit une « standardisation du contenu journalistique ». Voir en outre Pascal Beausse, « La photographie, un outil critique », Art press n° 251, p. 44 ; Natacha Wolinski, « La vérité flouée », Beaux-arts magazine, numéro 246, novembre 2004, p. 63-64.

La description de ces images d’attentat permet d’inférer une autre caractéristique de la vérité des images. En effet si cette photographie est reconnue vraie, c’est parce que ses propriétés superficielles permettent de reconstruire une instance d’énonciation précise, la figure de l’amateur, du quidam pris dans l’événement malgré lui et ayant statut de témoin. A cette figure sera accordée un privilège sur la vérité parce qu’elle bénéficie de l’avantage de la proximité spatio-temporelle fondatrice de la valeur médiatique, cette « vérité de l’amateur » se concevant aussi relativement au discrédit actuel de l’activité journalistique27.

Note de bas de page 28 :

 Le régime d’interaction de l’accident est décrit par Eric Landowski, « Les interactions risquées », Nouveaux actes sémiotiques n°s 101-102-103, Limoges, PULIM, 2005.

La description de cette photographie nous permet de faire un pas supplémentaire en direction de la vérité, incarnée aujourd’hui par une photographie floue et mise en rapport avec un sujet d’énonciation particulier (l’amateur plutôt que le journaliste). Ces avancées nous conduisent à admettre une inversion du régime véridictoire de la photographie qui dit le vrai lorsqu’elle est flou alors que le sens commun associe plutôt, au moins par métaphore, la netteté à la vérité... Mais surtout, elles dévoilent un modèle rhétorique par lequel la fluidité de la photographie d’amateur fournit le modèle de photographies de journalistes, de photographie de presse donc, dont on constate la large diffusion dans les journaux. Ce modèle que nous avons appelé photographie spontanée adopte les principes de la photographie d’amateur –flou et décadrage essentiellement- pour rechercher une photogénie particulière du corps représenté, basée sur l’accident28, l’hapax que matérialiseront des yeux crispés ou une moue inattendue, par exemple. Ainsi produit-on un effet de vérité rhétorique.

Cette hypotypose ou « effet de vivant » dévoile un autre point intéressant de la vérité de la photographie qui vient interroger la notion d’éthique. En effet une approche triviale de l’éthique de la photographie de presse nous conduirait à la définir sur deux critères essentiels : relativement à la vérité mais aussi selon un critère de disposition de soi, c’est-à-dire sur la possibilité laissée au modèle de contrôler sa propre image. Or l’instantané qui est au principe de l’hypotypose s’oppose précisément à la pose qui accorde au modèle la disposition de son corps, le contrôle de son apparence pour être au mieux de lui-même. Une contradiction apparaît donc où la vérité de l’événement se heurte à la morale de la disposition de soi et donc à l’éthique.

Quelques leçons de la vérité

Ce rapide parcours qui, par des approches successives, nous a amenée à une image particulière, la photographie, et à une pratique de production spécifique, la photographie de presse, livre quelques données essentielles susceptibles de guider notre réflexion au cours de ces journées d’étude où nous aurons le souci d’examiner les contours de la vérité dans différents corpus d’images.

Note de bas de page 29 :

 Voir A.J. Greimas, Sémiotique et sciences sociales, Le seuil, 1976, pp. 19-20

Une première hypothèse qui cherchera validation est que ces photographies ne permettent pas de porter un jugement sur une réalité en soi, sorte de « vérité de la vérité », mais jugent plutôt un état antérieur du savoir sur l’image et lui tiennent lieu de sanction. Ce constat rejoint celui de Greimas qui, retenant les critères d’adéquation et de cohérence, note que « cette cohérence interne du discours ne se satisfait pas d’un niveau isotope de la véridiction fondé sur la seule réalité sous-jacente » mais « implique nécessairement un savoir antérieur sur le faire taxinomique et ses résultats »29. D’où il ressort que la vérité doit être conçue à l’intérieur de pratiques culturelles évolutives et dans la perspective d’une sémiotique des cultures. Dans le cas de nos photographies, on s’aperçoit qu’un régime de croyance est mis en cause : une autre formulation rhétorique est alors proposée qui s’efforce de renouveler le croire et tâche de nous persuader, par des moyens plastiques différents matérialisant la rupture du système fiduciaire, d’une autre vérité de l’image. Si une dialectique s’instaure alors en diachronie -une photographie nouvelle récusant en quelque sorte la photo antérieure par l’instauration d’un système textuel faisant contraste- notre corpus révèle aussi une relation synchronique entre les images par laquelle une photographie de présence peut aussi compléter une photographie de presse insérée dans le même journal, son régime de croyance venant ainsi valider l’autre.

Mais telle n’est pas l’unique leçon de ces photographies. Car si la seule vérité admissible pour les images comme pour tout énoncé relève d’une prise de position du sujet (l’observateur), elle repose ici essentiellement sur le statut de son producteur qui ouvre une l’alternative professionnel/amateur. Ce statut étant déduit des propriétés iconographiques (la distance et la position des actants) et plastiques (le flou et le décadrage notamment) qui permettent de reconstruire une scène prédicative typique, c’est sur ces propriétés que se fonde, en toute première instance, le jugement épistémique.

Le flou désormais associé à la vérité, n’est plus l’apanage d’une photo ingénue faite par un amateur mais, la répétition trahissant l’effet rhétorique, procède aussi d’un procédé rhétorique qui apporte la caution de l’amateur à l’image professionnelle. Il en ressort un étonnant déplacement des valeurs : l’apparence de ce qui fut longtemps admis comme une « photo ratée » étant associée à la vérité, c’est cette forme cohérente (flou, grain, décadrage, éloignement..) qui élabore une  esthétique de la vérité sans doute très provisoire et dont il faut sans doute prévoir le prochain renouvellement.

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