Les statuts des locuteurs dévoilés par l’usage des répétitions locales en contexte de soin The Status of Speakers Unveiled by the Use of Local Lexical Repetitions in Healthcare Settings
L’étude porte sur les fonctions pragmatiques de la répétition locale dans des entretiens oraux. Nous nous focalisons sur les hétéro-répétitions locales en contexte d’interaction dans une visée pragmatique afin d’analyser la relation interlocutive dans un contexte de soin. Sont sélectionnés douze entretiens du corpus DECLICS2016 conduits entre deux locuteurs : un patient et un médecin ou un patient et un thérapeute d’orientation psychanalytique. Nous déterminons, dans ce contexte interlocutoire, les fonctions pragmatiques liées à l’usage de l’hétéro-répétition locale et vérifions si elles caractérisent le statut du locuteur. Sur un total de 186 hétéro-répétitions locales, nous avons identifié huit fonctions pragmatiques : la confirmation, la précision, la rectification, la réponse‑reprise, le ciblage, le partage de savoir, la reprise de sens en écho, le questionnement. On constate que les fonctions se répartissent différemment selon le statut du locuteur. Les patients utilisent prioritairement la répétition locale dans un but de confirmation (dans 59 % des cas), les médecins favorisent plutôt le partage de savoir (dans 48 % des cas) et les thérapeutes usent de la répétition dans un but phatique pour maintenir l’échange (dans 68 % des cas). Ces résultats indiquent que les voix énonciatives des locuteurs confirment au plan performatif leurs statuts respectifs. Notre étude, en contexte de soin hospitalier, montre que la répétition locale est un indicateur fiable pour identifier chacun des interlocuteurs et pour caractériser la relation interlocutive.
The study focuses on the pragmatic functions of local repetition in oral interviews. Particular focus is placed on local hetero-repetitions in an interaction context, with the pragmatic ambition to analyze interlocutive relationships in the context of healthcare. We selected twelve interviews conducted between two speakers–a patient and a physician or a patient and a psychoanalyst–from the DECLICS2016 corpus. In this interlocutory context, we determine the pragmatic functions related to the use of lexical repetition and verify whether the functions analyzed during hetero-repetitions are typical of the status of the speaker. Among the 186 hetero-repetitions, we identified eight pragmatic functions : confirmation, clarification, rectification, response-recovery, targeting, knowledge sharing, echo-meaning, questioning. We find a different distribution of pragmatic functions depending on the status of the speaker. Patients primarily use repetition for confirmation (59 % of cases), doctors favor the sharing of knowledge (48 % of cases), while therapists use repetition for a phatic purpose to maintain the exchange (68 % of cases). These results indicate that the enunciative voices of speakers confirm their respective statuses from a performative aspect. Our study, conducted in the context of hospital care, shows that repetition is a reliable indicator for identifying each interlocutor and for characterizing the interlocutory relationship.
Introduction
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La Région Auvergne Rhône Alpes et l’Université Clermont Auvergne ont signé pour la période 2016-2021 une convention autour du projet DECLICS — Dispositif d’Etudes CLIniques sur les Corpus Santé. Cette collaboration scientifique engage des laboratoires de recherches en Sciences Humaines et Sociales et en Médecine pour fournir à la recherche universitaire des retombées sociétales et une application en santé.
1Notre travail porte sur les fonctions pragmatiques liées à l’usage de la répétition et plus particulièrement sur le rôle de la répétition locale dans l’identification et dans la construction des statuts des locuteurs dans un contexte de soin. La présente étude fait partie d’un projet de recherche, DECLICS1 (Dispositif d’Études Cliniques sur les Corpus Santé), financé par la région AURA. Ce projet collaboratif engage une équipe pluridisciplinaire composée d’acteurs en santé (médecins et thérapeutes) et de chercheurs en Sciences Humaines et Sociales (linguistes et psycho-ergonomes). Ce projet a vu le jour suite à une demande des médecins qui ont constaté des problèmes communicationnels avec certains patients. Ils ont demandé à des thérapeutes d’orientation psychanalytique d’intervenir auprès de ces patients afin de libérer leur parole lors d’un entretien thérapeutique.
2Ces patients sont atteints de maladies chroniques telles le diabète ; dégénératives telles la maladie de Parkinson ou infectieuses, via le virus du SIDA par exemple. Ils éprouvent, bien que chacun différemment, une certaine « résistance » au système médical, résistance qu’ils ont communiquée en termes de crainte de mauvaise prise en charge ultérieure ou de suivi médical non adapté à leur situation. Ceci explique le blocage communicationnel survenu progressivement avec les médecins et la nécessité d’une écoute autre. Suite à la mise en place d’un dispositif expérimental, où les patients dits « résistants » rencontrent un thérapeute afin de libérer leur parole, les médecins ont fait appel aux linguistes pour analyser syntaxiquement et pragmatiquement leurs propres interactions verbales avec les patients comme celles entre thérapeutes et patients.
3Une des visées applicatives du projet est notamment à destination des médecins, pour faire un retour sur leurs pratiques langagières afin que la formation des générations futures soit davantage sensibilisée à la portée des discours médicaux en situation de consultation. Pour cela, l’équipe de chercheurs a constitué un corpus (le corpus DECLICS2016, Auriac‑Slusarczyk & Blasco, 2019) afin de disposer de données verbales authentiques et éthiquement transcrites dans plusieurs services hospitaliers.
Problématique
4Le but du projet DECLICS est d’analyser des productions orales recueillies lors d’entretiens médicaux afin d’améliorer la prise en charge thérapeutique des patients.
5Dans la lignée du projet INTERMEDE (Lang et al, 2008) dans lequel l’identification d’un procédé linguistique (la métaphore) a permis d’étudier la consultation médicale et d’identifier les rôles des locuteurs, nous nous sommes questionnées sur la possibilité pour la répétition de marquer l’identification des statuts des locuteurs, ce à partir des données du corpus DECLICS2016.
6Ainsi, bénéficiant d’un corpus singulier et varié (différents services de médecine, différents soignants, de multiples pathologies), nous nous sommes intéressées au rôle que peut jouer la répétition dans un contexte de soin. S’agissant, dans notre étude, de données mettant en scène des médecins et des thérapeutes auprès de mêmes patients, nous nous sommes demandé si le processus de répétition caractérisait les différents types d’échanges interlocutoires. La répétition aide-t-elle, en tant que procédé linguistique étudié dans d’autres contextes, à typifier les rôles des locuteurs ? Est-ce un marqueur différentiel en contexte de soin ?
7Pour répondre à cette problématique, dans un premier temps nous présentons le contexte dans lequel s’inscrit la recherche. Dans un deuxième temps, nous annonçons les choix méthodologiques adoptés pour cette étude ; nous présentons les données verbales que nous avons sélectionnées et les types de répétitions étudiés. Enfin, dans un troisième temps, nous dévoilons les résultats obtenus grâce à cette étude, à savoir (1.) l’identification et la distribution des différentes fonctions pragmatiques de la répétition dans le corpus DECLICS2016, (2.) la mise en évidence des fonctions les plus employées dans nos deux contextes d’échanges (la consultation médicale avec un médecin et l’entretien clinique avec un thérapeute), puis (3.) nous relierons les différentes fonctions pragmatiques de la répétition aux statuts des locuteurs.
1. Cadre théorique
8Comme précisé dans la partie introductive, cette recherche fait partie d’un projet pluridisciplinaire, associant les sciences humaines et sociales et la médecine. De ce fait, notre étude s’inscrit dans le double cadre théorique de la linguistique pragmatique et du contexte de soin en milieu hospitalier. Par ailleurs, la répétition est un objet d’étude qui fut manipulé à de nombreuses reprises, sous des angles différents, tant il est difficile d’en proposer une simple définition. Nous avons choisi de nous restreindre, pour cette étude, à un type particulier de répétition, l’hétéro-répétition locale, détaillé plus bas (cf. 2.2.1).
1.1 Une étude à visée pragmatique
9Notre étude s’inscrit dans le champ de la pragmatique des discours (Armengaud, 2007). Autrement dit, nous regardons si le fonctionnement de l’interaction entre plusieurs locuteurs est influencé par le contexte spécifique en termes de qualité de la verbalisation. Goffman (1988, p. 23) définit l’interaction a minima comme « ce qui se passe lorsque plusieurs personnes se trouvent réunies ». Cosnier (2002, p. 321), quant à lui, détermine l’interaction verbale comme suit :
l’interaction, c’est d’abord les processus d’influences mutuelles qu’exercent les uns sur les autres les participants à l’échange […] mais c’est aussi le lieu où s’exerce ce jeu d’actions et de réactions : une interaction, c’est une rencontre, c’est-à-dire l’ensemble des événements qui composent un échange.
10De ce fait, l’étude des interactions verbales permet de comprendre comment les locuteurs interagissent et s’engagent dans la co-construction d’un discours. Pour comprendre le fonctionnement et la signification d’un énoncé, la pragmatique interactionnelle s’intéresse non seulement au locuteur, en tant que sujet humain qui énonce, mais également au contexte dans lequel l’énoncé se produit et trouve ainsi un sens situé. Ce sont alors les actes de langage (Austin, 1962 ; Searle et Vanderveken, 1985 ; Kerbrat‑Orecchioni, 2001) qui sont à repérer et à étudier. L’activité langagière, d’un point de vue pragmatique, dépasse l’activité d’énonciation (Benveniste, 1966 ; Kerbrat‑Orecchioni, 1980 ; Fiala et al, 1981) et oblige à vérifier si ce qui est dit est interprétable (contexte monologique) ou interprété (contexte dialogique) par les interlocuteurs potentiels ou réels. Dans ce cadre, la répétition est assimilable à un acte qui, soit demande à vérifier s’il est réussi, avorté, partiellement pris en considération, soit requiert d’en dévoiler la fonction interlocutoire (Trognon, 1999). La logique interlocutoire (Kostulski & Trognon, 1998 ; Trognon et al, 2010) permet de déployer la structure interlocutoire et, dans notre cas, de mieux comprendre dans quels buts la répétition peut être utilisée et avoir des effets sur les rôles communicationnels participant à contractualiser les positions institutionnelles des acteurs (Charaudeau, 1993), autrement dit à déterminer leurs statuts.
1.2 Le contexte de soin
11Le discours médical a été l’objet d’étude de nombreuses recherches en linguistique, que ce soit pour rendre compte de la structure d’une consultation médicale (Cosnier, 1993 ; Saint-Dizier de Almeida, 2013) ou au niveau d’une typification en termes de genre de discours (Lacoste, 1993). Par ailleurs, on reconnaît le discours médical comme langue de spécialité (Gafaranga & Britten, 2004) et on typifie cette langue de spécialité quant à la place que les acteurs prennent, dans la communication, médecin(s) et malade(s) (Fournier & Kerzanet, 2007). L’intérêt porté à certaines caractéristiques du discours, produites dans un contexte spécifique, tel le milieu hospitalier ici, permet d’évaluer l’efficacité interlocutive (Anquetil, 2017) de la relation de soin.
12Comprendre le fonctionnement de l’interaction entre un patient et un soignant (Vergely et al, 2010) oblige à appréhender les mécanismes communicationnels présents dans une relation que l’on peut qualifier d’asymétrique (Traverso, 2001). On sait que des différences et un besoin d’ajustement existent entre le savoir médical du soignant et le savoir expérientiel du patient (Dominicé, 2010). Pour établir une analyse interlocutoire et comprendre les mécanismes communicationnels, il est essentiel de repérer puis d’analyser des indicateurs ou marqueurs linguistiques (Kerbrat-Orecchioni, 1990) tels que les régulateurs verbaux, les marques de modalités, les reprises, les répétitions, les pronoms, etc., afin de dévoiler les places des locuteurs dans le discours (Ghiglione et al, 1977). Pour cette étude, nous avons choisi de nous intéresser à un seul indicateur : la répétition locale.
1.3 Comment caractériser la répétition ?
13Le phénomène de répétition (aussi parfois nommé reprise ou reformulation) a souvent été étudié par la communauté scientifique (Bernicot et al, 2006 ; Ploog,2014 ; Magri-Mourgues & Rabatel, 2015) sans pour autant que l’on arrive à déterminer son statut théorique. Pour cette étude, nous nous accordons à la définition proposée par Romain et Rey (2014, p. 2169), qui est la suivante :
La répétition est une reprise d’un matériau formel, reprise explicite d’un segment linguistique où le signifiant reste le même. Cependant, cette répétition induit de fait une signification différente de la première car étant postérieure elle modalise la première production et apparaît dans un cotexte différencié.
14Concernant le fonctionnement de la répétition, plusieurs études ont proposé des fonctions possibles à ce phénomène : répéter pour prendre la parole, répondre à une question ou marquer l’accord pour André dans son étude de 2011 ; négocier du sens (Vion, 2006) ou une fonction échoïque selon Perrin (2014). En nous appuyant sur ces travaux et sur la catégorisation linguistique de la répétition établie par Vion et Mittner (1986), nous avons identifié différents types de répétitions, répertoriés et illustrés dans le tableau 1 ci-dessous.
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Les exemples du tableau 1 sont théoriques.
Tableau 1- Classification des répétitions par Vion et Mittner (1986)2
Types de répétitions |
Sous-types |
Exemples |
la répétition simple |
sans ajout ni modification |
locuteur 1 « toi et moi on se comprend » locuteur 2 « toi et moi on se comprend » |
avec extraction d’une partie du discours du locuteur 1 |
locuteur 1 « toi et moi on se comprend » locuteur 2 « on se comprend » |
|
avec complétion, répétition identique du discours du locuteur 1, suivie d’un ajout |
locuteur 1 « toi et moi on se comprend » locuteur 2 « toi et moi on se comprend parfaitement bien » |
|
la répétition modalisée |
répétition simple accompagnée d’une particule de modalité |
locuteur 1 « toi et moi on se comprend » locuteur 2 « ouais tout à fait toi et moi on se comprend » |
énoncé-reprise par rapport à une question |
locuteur 1 « toi et moi on se comprend ? » locuteur 2 « on se comprend » |
|
répétition traduisant un comportement phatique |
locuteur 1 « toi et moi on se comprend » locuteur 2 « on se comprend mh mh » |
15De plus, notre étude pragmatique portant sur l’analyse des faits interactionnels entre plusieurs locuteurs, nous avons choisi de nous focaliser sur un genre particulier de répétition, qu’est l’hétéro-répétition, définie par Bigi, Bertrand et Guardiola (2010) de la manière suivante : « reproduction par un locuteur 2 d’un énoncé ou d’une partie d’énoncé préalablement produit par un locuteur 1 ». Ce genre de répétition est présenté dans la section 2.2 de cet article.
2. Méthodologie
16Comme annoncé dans la partie introductive, notre recherche s’inscrit dans le cadre du projet DECLICS. Ainsi, dans un premier temps, nous décrivons les données exploitées pour cette recherche puis, dans un second temps, nous présentons les modalités d’analyse que nous avons choisies pour le déroulement de cette étude.
2.1 Description des données
17Concernant les données utilisées pour cette recherche, nous avons sélectionné douze entretiens issus du corpus DECLICS2016, correspondant à 10 heures et 21 minutes d’enregistrements audio et 115 365 mots. Ces entretiens sont conduits entre deux locuteurs, un patient et un soignant, pouvant être tantôt un médecin spécialisé (neurologue, nutritionniste, etc.), tantôt un thérapeute d’orientation psychanalytique. Ces entretiens sont utilisés ici pour analyser les discours des locuteurs en fonction de leurs rôles : le rôle de patient, de médecin ou de thérapeute. On distingue deux types d’échanges : a) la consultation médicale qui s’effectue entre un patient et un médecin, et b) l’entretien clinique qui se déroule entre un patient et un thérapeute.
18Nous avons fait le choix de sélectionner seulement ces douze entretiens pour les raisons suivantes : ils correspondent à la possibilité d’étudier six binômes, où un même patient se voit rencontrer, via une consultation médicale, un médecin, puis via un autre entretien, un thérapeute. Cette construction en binôme nous permet de comparer et contraster le discours d’un patient face à deux types de soignants.
19Par ailleurs, nous avons choisi ces binômes pour leur diversité et leur représentativité en matière de pathologies. En effet, ces entretiens ont été réalisés dans quatre services hospitaliers : les services de nutrition, médecine interne, neurologie et maladies infectieuses, garantissant l’hétérogénéité souhaitée. Le but est de dépasser la singularité, y compris de spécialité médicale, pour atteindre des profils types d’acteurs (médecins vs patients vs thérapeutes). Ces binômes sont constitués de six patients : deux femmes et quatre hommes dont la moyenne d’âge est de 41ans, avec un écart-type de 9,8.
2.2 Modalités d’analyse des données verbales
20Concernant les modalités d’analyse des données verbales de cette étude, nous avons choisi de restreindre systématiquement le cotexte des hétéro-répétitions à un nombre limité de tours de parole. En effet, étudier la répétition suppose toujours de délimiter le cotexte considéré. En nous inspirant du travail de Sacks et al. (1974) sur les paires adjacentes, nous avons choisi d’étudier les seules répétitions locales qui se déploient sur un maximum de quatre tours de paroles consécutifs.
21De même, en nous référant aux reprises diaphoniques en interaction de Roulet et al. (1985), nous avons fait le choix de sélectionner uniquement les hétéro-répétitions, autrement dit la répétition par le locuteur de ce que vient de dire son interlocuteur. Ainsi, les hétéro-répétitions prises en compte pour cette étude se déploient sur un maximum de quatre tours de paroles répartis entre les deux locuteurs différents étudiés (patient/médecin versus patient/thérapeute).
22Ces choix méthodologiques nous ont permis de collecter 186 hétéro-répétitions locales au sein des douze entretiens sélectionnés. Nous présentons, ci-dessous, deux exemples d’hétéro-répétitions locales, représentant deux contextes d’échanges différents. En annexe se trouve placée la liste des normes de transcriptions utilisées pour le corpus DECLICS2016, qui facilitera la lecture des extraits qui suivent.
[1] hétéro-répétition locale en contexte de consultation médicale avec un médecin :
MED [0h02min11] : c’était à Sainte Marie que vous allez {ton interrogatif} + c’est à quel endroit {ton interrogatif}
PAT35[0h02min13] : non c’est à Blois
MED8[0h02min14] : à Blois
[2] hétéro-répétition locale en contexte d’entretien clinique avec un thérapeute :
THE1[0h53min07] : et qu’est-ce que vous aimeriez par contre euh que je dise éventuellement à Monsieur Richard + qu’est-ce que vous souhaiteriez euh que {ton interrogatif}
PAT2 [0h53min18] : bah qu’il fasse le chef d’orchestre
THE1 [0h53min19] : qu’il fasse le chef d’orchestre
PAT2 [0h53min20] : voilà
2.3 Catégorisation pragmatique
23Dans cette section, nous présentons les huit fonctions pragmatiques présentes dans le corpus. Ces huit fonctions représentent les différents buts de la répétition tels qu’ils se révèlent dans un contexte de soin. Chaque fonction pragmatique est illustrée ci-dessous, à l’aide d’extraits du corpus.
2.3.1 Les huit fonctions pragmatiques extraites du corpus DECLICS2016
24À partir du postulat établi par Vion et Mittner (cf. 1.3), nous avons associé chaque type de répétition à une fonction pragmatique. Ces six fonctions pragmatiques sont le partage de savoir, le ciblage, la précision, la confirmation, la réponse‑reprise et la reprise de sens en écho.
25De plus, nous avons repéré deux autres fonctions pragmatiques, indépendantes de la classification de Vion et Mittner, extraites empiriquement du corpus DECLICS2016. Les huit fonctions pragmatiques de la répétition présentes dans le corpus sont désignées dans le tableau 2 ci-dessous.
Tableau 2- Les 8 fonctions pragmatiques de la répétition présentes dans le corpus DECLICS2016
Dénomination |
Fonction pragmatique |
|
Catégories présentées par Vion et Mittner (1986) |
répétition simple accompagnée d’une particule de modalité |
confirmation |
répétition simple sans ajout ni modification |
partage de savoir |
|
répétition modalisée traduisant un comportement phatique |
reprise de sens en écho |
|
répétition simple avec complétion |
précision |
|
énoncé-reprise par rapport à une question |
réponse‑reprise |
|
répétition simple avec extraction d’une partie du discours du locuteur 1 |
ciblage |
|
Catégories empiriques extraits de DECLICS2016 |
répétition simple avec extraction dans le but d’initier un questionnement |
questionnement |
répétition simple avec complétion dans le but de rectifier le discours du locuteur 1 |
rectification |
2.3.2 Illustrations des huit fonctions pragmatiques de la répétition présentes dans le corpus DECLICS2016
26Nous présentons ci-dessous les huit fonctions pragmatiques des répétitions locales étudiées, à l’aide d’extraits illustratifs issus du corpus. Chaque extrait est commenté afin d’expliquer en quoi il est représentatif de la fonction pragmatique qui lui est associée. Le relevé de marqueurs ayant contribué de façon notable à la classification des extraits en fonctions pragmatiques est reporté en mettant chaque expression en caractères gras dans les extraits qui suivent.
[3] MED1 [0h19m55] : quand même c’est euh Lioresal que vous aviez eu + non c’est pas celui-là
MED1 [0h20min04] : Selincro
PAT5 [0h20min05] : Selincro ouais Selincro ouais c’est ça
[4] PAT29 [0h15min08] : enfin voilà quoi j’ai euh voilà quand j’ai envie d’aller euh au- euh uriner quoi en fait c’est vrai que ça dès que j’ai envie en fait dans les dix minutes quoi euh + avant je me retenais plus on va dire
MED7 [0h15min14] : c’est peut-être l’âge aussi {rires}
PAT29 [0h15min16] : {rires} peut-être l’âge aussi ouais
27Les extraits [3] et [4] illustrent la fonction de confirmation. Les patients répètent les propos tenus par leurs médecins respectifs puis confirment l’exactitude de l’information partagée, à l’aide du marqueur approbatif « ouais ».
[5] MED7 [0h01min39] : d’accord + et vous êtes installé où là du coup maintenant {ton interrogatif}
PAT29 [0h01min43] : à Cergy
MED7 [0h01min44] : à Cergy
[6] PAT2 [0h56m28] : Monsieur Furab au centre de soins dentaires
MED9[0h56m29] : Monsieur Furab + au(x) soin(s) dentaire(s)
PAT2[0h56m34] : Madame Claisse
MED9[0h56m35] : bon Madame Claisse d’accord
28Les extraits [5] et [6] illustrent la fonction de partage de savoir entre médecin et patient. Cette interlocution avec répétition sans ajout ni modification permet au médecin d’obtenir une information qui complète le dossier médical du patient et qui est rendue commune par la répétition.
[7] THE1 [0h15min24] : voilà c’est c’est vraiment ça
PAT5 [0h15min25] : c’est vraiment le confort de vie en somme
THE1 [0h15min27] : confort de vie
PAT5 [0h15min27] : parce que tous ces mouvements anormaux bon c’est pénible pour pour moi c’était pénible
[8] MED7 [0h08min44] : et avec des palpitations ou pas de palpitations les malaises {ton interrogatif}
PAT34 [0h08min46] : pas spécialement
MED7 [0h08min46] : pas spécialement
29Les extraits [7] et [8] illustrent la fonction pragmatique de reprise de sens en écho. Le soignant répète une partie du discours du patient, comme un écho. Il s’agit d’un comportement que l’on peut qualifier de phatique, où par la répétition, le soignant informe le patient qu’il l’écoute et l’incite probablement à continuer son discours.
[9] PAT36 [0h14min46] : ça réduit forcément
MED8 [0h14min47] : ça réduit forcément l’apparition qu’on va quand même regarder à chaque fois hein
[10] MED8 [0h19min06] : je vais regarder +++ enlever le portable des poches les clefs tout hein
{examen, pesée}
MED8 [0h19min30] : cinquante
PAT36 [0h19min31] : cinquante et un virgule cinq
30Les extraits ci-dessus permettent d’illustrer la fonction pragmatique de précision. Dans l’extrait [9], le médecin répète les propos du patient, tout en complétant l’information. Il détaille plus amplement les propos tenus par le patient afin probablement de s’assurer d’une meilleure intercompréhension. Dans l’extrait [10], le patient répète l’information partagée avec le médecin en ajoutant une certaine précision concernant dans ce cas-ci son poids. Cette précision ajoutée par le patient lui permet de s’assurer qu’il partage avec le médecin des informations exactes et précises, utiles à son suivi médical.
[11] MED8 [0h05min03] : donc euh vous buvez un peu d’alcool ou pas du tout {ton interrogatif}
PAT34 [0h05min06] : pas du tout
[12] THE1 [0h47min54] : avant qu’ils meurent ou juste après {ton interrogatif}
PAT2 [0h47min55] : après
31Les extraits [11] et [12] sont représentatifs de la fonction de réponse‑reprise selon laquelle le patient répète une partie du discours du soignant, et plus particulièrement l’une des deux propositions faites par le soignant lors de la formulation de sa question.
[13] THE1 [0h17min12] : quelle était la façon de s’exprimer de ce contrôle de votre père essentiellement hein puisque votre maman avait plutôt l’air d’être
PAT34 [0h17min20] : elle temporisait tout le temps
THE1 [0h17min22] : elle temporisait + donc qu’est-ce qui était les exigences {ton interrogatif}
[14] PAT5 [0h15min27] : parce que tous ces mouvements anormaux bon c’est pénible pour pour moi c’était pénible c’est plus pénible encore pour les personnes qui étaient avec moi parce que quand on voit quelqu’un qui bouge la tête dans tous les sens et bah c’est c’est fatigant pour tout le monde
THE1 [0h15min38] : c’est fatigant bah parlez-nous justement de l’entourage de de comment vous vous voyez + le regard des autres déjà de vos proches
32Ces extraits ci-dessus illustrent la fonction pragmatique de ciblage. Le thérapeute rebondit sur les propos du patient, en répétant une partie seulement de son discours, afin de l’amener à considérer un élément particulier qu’il questionne alors.
[15] PAT2 [0h04m03] : euh + au départ ça c’était tous les étés depuis six ans + et maintenant depuis novembre
MED9 [0h04m08] : non mais la diarrhée c’est pas
PAT2 [0h04m09] : depuis novembre
MED9 [0h04m09] : depuis novembre {ton interrogatif}
[16] PAT29 [0h39min37] : donc on est très- oui ça fait une grande famille
THE3 [0h39min40] : ça fait une grande famille ou ça fait beaucoup de gens euh dans un- dans une non-famille {ton interrogatif}
PAT29 [0h39min45] : beaucoup de gens dans une non-famille après euh + euh + voilà
33Dans les extraits [15] et [16], le soignant illustre la fonction pragmatique de questionnement. Il répète le discours du patient en transformant l’information partagée en interrogation.
[17] PAT5[0h04min55] : avant de lancer le complètement l’opé- le
THE1[0h04min58] : l’intervention
PAT5[0h04min58] : l’intervention enfin pas l’intervention mais tous les tests pour euh pour euh pour prévoir l’intervention
34Dans l’extrait [17], le patient emploie la fonction pragmatique de rectification. Il utilise la reprise d’un mot (intervention) afin de rectifier les propos tenus par le médecin. Il utilise notamment la négation suivie d’une conjonction (mais) pour rétablir l’exactitude de la situation médicale décrite.
3. Résultats
35Dans cette partie, nous présentons, tout d’abord, la distribution des fonctions pragmatiques dans le corpus DECLICS2016, puis nous présentons l’usage de ces fonctions dans les deux contextes d’échanges (médecins vs thérapeutes). Enfin, nous exposons les résultats de cette étude concernant le rôle de la répétition locale dans l’identification des statuts des locuteurs (patients vs médecins vs thérapeutes).
3.1 Distribution en pourcentage des fonctions pragmatiques de la répétition dans le corpus DECLICS2016
36Dans un premier temps, nous rapportons la distribution des fonctions pragmatiques des répétitions locales présentes dans le corpus.
Tableau 3- Distribution en pourcentage des fonctions pragmatiques de la répétition locale
Fonctions pragmatiques de la répétition |
Distribution en pourcentage |
Reprise de sens en écho |
24 % |
Précision |
6 % |
Confirmation |
23 % |
Réponse‑reprise |
6 % |
Ciblage |
14 % |
Partage de savoir |
18 % |
Questionnement |
5 % |
Rectification |
4 % |
37Concernant les 186 hétéro-répétitions locales observées, on constate que quatre des huit fonctions sont plus majoritairement utilisées. La fonction pragmatique la plus représentée dans le corpus DECLICS2016 est la reprise de sens en écho (24 %), répétition effectuée par le second locuteur afin de marquer son écoute et pour se positionner en prenant en compte le discours de son interlocuteur. Ensuite, la deuxième fonction pragmatique la plus fréquemment utilisée est la fonction de confirmation (23 %), utilisée par le second locuteur afin de valider les propos du premier locuteur. La troisième fonction pragmatique la plus utilisée dans ce corpus est le partage de savoir (18 %) dans un but d’échanges de connaissances afin que les deux locuteurs aient un savoir commun sur la situation. Enfin, la quatrième fonction pragmatique la plus représentée dans le corpus est la fonction de ciblage (14 %), utilisée par le second locuteur afin d’appuyer sur une partie du discours produit par le premier locuteur. On remarque que, dans le corpus, l’usage de la répétition locale dans 79 % des cas a pour but, soit de maintenir l’interaction, soit de confirmer les dires de son interlocuteur, soit de partager un savoir commun ou bien de cibler une partie du discours de l’interlocuteur. Pour la suite de cette étude, nous nous sommes intéressées à l’usage de la répétition locale dans les différents contextes d’échanges : premièrement, dans le contexte de consultation médicale, entre un patient et un médecin puis, secondement, dans le contexte d’entretien clinique, entre un patient et un thérapeute.
3.2 Les fonctions pragmatiques de la répétition dans un contexte de consultation médicale
38Nous avons calculé la moyenne du nombre d’occurrences de chaque fonction pragmatique produite par les patients et les médecins, dans le contexte de consultation médicale. Précisons que les consultations médicales issues du projet DECLICS durent en moyenne 34 minutes. Les résultats sont illustrés dans la figure 1 ci-dessous.
Figure 1- Moyennes du nombre d’occurrences des fonctions pragmatiques de la répétition locale en consultation médicale
39On constate que, lors d’une consultation médicale, le patient utilise la répétition locale dans l’unique but de confirmer les propos du médecin (cf. [3]). Le médecin, quant à lui, utilise la répétition locale pour partager un savoir avec son patient ou bien dans un comportement phatique pour assurer de son écoute au patient (cf. [5] et [8]). Enfin, il semblerait que médecin et patient utilisent la répétition locale dans un but de confirmation des propos de l’autre afin de s’assurer de leur compréhension mutuelle et réciproque.
3.3 Les fonctions pragmatiques de la répétition dans un contexte d’entretien clinique
40Dans la continuité de cette étude, nous avons calculé la moyenne du nombre d’occurrences de chaque fonction pragmatique produite par les patients et les thérapeutes, dans le contexte d’entretien clinique. Précisons que les entretiens cliniques issus du projet DECLICS durent en moyenne 67 minutes. Les résultats sont illustrés dans la figure 2 ci-dessous.
Figure 2- Moyennes du nombre d’occurrences des fonctions pragmatiques de la répétition locale en entretien clinique
41Lorsque l’on regarde l’usage de la répétition locale du patient type confronté à un thérapeute, on constate une similitude d’utilisation de la répétition par le patient en contexte de consultation médicale. Face au thérapeute, le patient utilise le procédé de répétition locale dans le même but de confirmation qu’en consultation médicale. Par ailleurs, le patient emploie également la répétition locale afin de répondre aux questions que lui pose le thérapeute (cf. [12]). Ce dernier, quant à lui, utilise la répétition locale principalement de manière phatique, pour signaler au patient qu’il l’écoute (cf. [7]). Il semble cependant également l’utiliser afin de cibler une partie du discours du patient, pour que ce dernier développe probablement davantage son discours à propos d’un épisode de sa vie (cf. [14]). En entretien clinique, le thérapeute emploie en outre le phénomène de répétition locale afin de partager un savoir avec le patient, tout comme le médecin en consultation médicale.
3.4 Les fonctions pragmatiques de la répétition par rapport aux statuts des locuteurs
42Pour la suite de cette étude, nous avons cherché à déterminer le lien entre le statut des locuteurs (patient/médecin/thérapeute) et le type de fonction pragmatique employé. Dans cette dernière partie, pour relier le statut des différents locuteurs du corpus DECLICS2016 aux types de fonction pragmatique de la répétition locale utilisée, nous avons calculé le pourcentage d’usage des catégories pragmatiques de la répétition locale par type de locuteur rapporté à la durée de l’échange. Les résultats de cette dernière partie d’étude sont répertoriés dans la figure 3 ci-dessous.
Figure 3- Pourcentage d’usage des catégories pragmatiques en fonction du type de locuteur et de la durée de l’échange
43Lorsque l’on regarde le pourcentage d’usage des catégories de la répétition locale en fonction du type de locuteurs, on constate que chaque statut de locuteur est associé à au moins une fonction pragmatique. Le patient utilise la répétition locale pour confirmer les propos du soignant qu’il a face à lui ou pour répondre aux questions qu’on lui pose. Le médecin utilise la répétition locale pour partager un savoir avec son patient, souvent dans un but de complétion du dossier médical, pour avoir le plus d’informations concernant le patient pour bien dérouler sa consultation. Enfin, le thérapeute utilise la répétition locale pour accompagner l’effort de verbalisation du patient en maintenant l’échange et dans un but de ciblage pour amener le patient à développer certains points clefs afin de débloquer la situation. Ces résultats montrent qu’en contexte de soin, déterminer le type de fonction pragmatique utilisé permet l’identification du statut du locuteur qui emploie préférentiellement certains procédés de répétition locale pour accomplir alors son rôle discursif de médecin/patient/thérapeute.
3.5 Illustrations des fonctions pragmatiques de la répétition par rapport aux statuts des locuteurs
44Les extraits ci-dessous permettent d’illustrer le lien entre le statut des locuteurs et l’usage des fonctions pragmatiques de la répétition locale.
[18] THE1 [0 h 33 min 28 s] : à vos parents une lettre {ton interrogatif}
PAT34 [0 h 33 min 29 s] : ouais
THE1[0h33min30] : envoyée + donnée {ton interrogatif}
PAT34[0h33min31] : envoyée
THE1 [0 h 33 min 32 s] : envoyée
45Comme le montre l’extrait ci-dessus, le patient répète une partie du discours du thérapeute pour répondre à une question. Le thérapeute, à l’intérieur de sa question, émet deux propositions de réponse au patient. Cependant, rien n’oblige le patient à utiliser la répétition locale pour répondre à cette question. Cette fonction pragmatique de réponse‑reprise est typique du patient puisque, dans un contexte d’entretien médical, il est fréquent que ce soit le soignant qui pose les questions et le patient qui y réponde. Dans les données verbales sélectionnées pour cette étude, la fonction de réponse‑reprise a en effet été utilisée par les patients dans plus de 92 % des cas.
[19] MED9[1h10m59] : alors Toviaz vous m’avez dit que c’était pour la
PAT2[1h11m01] : l’incontinence urinaire
MED9[1h11m02] : l’incontinence urinaire + après la Prégabaline ça je sais + Lyrica + d’accord
46La fonction pragmatique de partage de savoir apparaît comme typique des soignants et plus particulièrement des médecins. En effet, l’usage de cette fonction pragmatique semble bien être en lien avec la nécessité du soignant de s’assurer qu’il partage les mêmes informations (cf. [5] et [6]), le même savoir avec le patient (cf. [19]), pour maintenir une bonne intercompréhension entre eux. Dans nos données verbales, dans 66 % des cas, ce sont les médecins qui font usage de cette fonction de partage de savoir.
[20] PAT[0H48MIN45] : c’est de la- c’est de la sophrologie + c’est vrai que ça me calmait un peu + même si quarante minutes de c’est bon pendant trois jours je me sentais comme un +
THE4[0H49MIN07] : ouais
PAT25[0H49MIN08] : comme une plume on va dire
THE4 [0H49MIN09] : comme une plume
PAT25[0H49MIN09] : voilà mais après c’est ça le problème c’est + une fois que vous avez été exposé à l’affaire une fois- faire en sorte que + ça revienne pas
47La fonction pragmatique de reprise de sens en écho permet de dévoiler le statut de thérapeute. Les thérapeutes d’orientation psychanalytique ont pour mission, lors d’entretiens cliniques, d’écouter le patient. Il apparaît naturel que cette fonction phatique soit davantage utilisée par les thérapeutes, c’est le cas dans 59 % des cas, dans le cadre de nos données.
4. Conclusion / Discussion
48Dans cette contribution, nous avons regardé le fonctionnement du phénomène de répétition dans le cadre d’échanges en contexte de soin. Si, comme le souligne Richard (2015), la répétition n’est en rien obligatoire, nous avons cherché à comprendre comment les différents locuteurs (patients, médecins et thérapeutes) utilisent le phénomène de répétition locale en déterminant la fonction pragmatique de l’usage de la répétition et en quoi ce phénomène conduit à différencier les rôles et statuts des interlocuteurs. Ainsi, le statut d’un interlocuteur peut être tracé, repéré, puis déterminé via l’usage qu’il fait de ses hétéro-répétitions locales.
49Nous avons mis à jour huit fonctions pragmatiques de la répétition, validant et contribuant à étendre les travaux de Vion et Mittner (1986). Notre traitement des données verbales du corpus DECLICS2016 montre que tous les locuteurs utilisent le panel complet des fonctions pragmatiques, excepté les médecins qui n’utilisent jamais la répétition locale pour répondre à une question. Le type de répétition locale n’est ainsi pas un rapport équipotent au statut du locuteur.
50Nos résultats montrent que c’est le contexte (consultation/entretien) qui détermine les usages préférentiels. Ainsi, en contexte de consultation médicale, seulement six fonctions pragmatiques sur les huit mises à jour opèrent entre patients et médecins. Il apparait que trois fonctions pragmatiques prédominent ce genre d’échange, à savoir, la fonction de confirmation, commune dans l’usage aux deux locuteurs, et les fonctions de reprise de sens en écho et de partage de savoir, qui sont, pour leur part, plus majoritairement exploitées par les médecins. On peut ainsi hiérarchiser l’emploi des répétitions locales quant aux fonctions pragmatiques qu’elles remplissent dans le genre des entretiens médicaux tel qu’étudié dans le corpus DECLICS2016. Concernant l’entretien clinique qui se déroule entre un patient et un thérapeute, sept des huit fonctions pragmatiques se manifestent chez les deux locuteurs. Comme dans le contexte de consultation médicale, la fonction pragmatique de confirmation est commune aux deux locuteurs, qui l’emploient de manière significative. On constate, de plus, que la fonction de réponse‑reprise est très largement utilisée par les patients dans ce genre d’échange alors que les thérapeutes vont favoriser, pour leur part, les fonctions pragmatiques de partage de savoir, de ciblage et de reprise de sens en écho.
51Ainsi, via le genre d’échange tenu (consultation/entretien clinique), il y aurait des fonctions plus spécifiquement liées aux statuts des locuteurs, entendues comme plus massivement déployées dans le discours des patients versus thérapeutes versus médecins. Les résultats de notre étude pragmatique confirment que chaque type de locuteur utilise le mécanisme de répétition locale à des fins différentes, c’est-à-dire avec des effets différents, ce qui permet de différencier, voire d’identifier les acteurs en présence. Il est à noter que la fonction de réponse‑reprise est presque exclusivement exploitée par les patients (dans 92 % des cas), ce qui nous rapproche d’un lien quasi équipotent entre type de fonction de répétition locale et statut du locuteur.
52Par ailleurs, les résultats révèlent un sous-emploi de la répétition locale par les médecins, si on les compare aux patients et aux thérapeutes. Les médecins utilisent préférentiellement la répétition locale dans un but bien précis, celui de partager un savoir avec leur patient (Thievenaz, 2018) ; nous faisons l’hypothèse que ce type de répétition les assure d’une bonne intercompréhension du déroulement de la consultation médicale quant aux traitements à suivre, diagnostic à confirmer, et jargon médical à s’approprier (Turpin, 2002 ; Bischoff, 2017). L’ethos d’un médecin serait ainsi davantage axé sur la sphère savante qui justifie sa position discursive en entretien médicalisé. On pourrait alors, dans le cadre des objectifs du projet DECLICS, amener les médecins à une réflexion sur la possibilité d’une diversification d’usage des huit fonctions pragmatiques au regard de celles qu’ils n’actualisent pas ou peu lors de leurs consultations.
53De leur côté, les thérapeutes emploient majoritairement la répétition à fonction phatique/échoïque (cf. Perrin, 2014) ; nous faisons l’hypothèse qu’ils cherchent très probablement ainsi à aviser le patient de leur intérêt pour leur histoire, leur vécu, favorisant l’écoute à la parole. L’ethos du thérapeute se traduirait via cette fonction pragmatique, en ce que cet interlocuteur tient compte d’événements, d’anecdotes vécus par le patient, c’est-à-dire du récit que la médecine narrative préconise actuellement à destination des médecins (Charon, 2015 ; Goupy & Le Jeunne, 2017). Ceci apporte un deuxième cadre possible au projet DECLICS, d’utilisation de l’étude ici menée : les médecins pourraient être amenés, sans chercher à rejoindre l’éthos d’un thérapeute, à se positionner quant à l’utilité éventuelle d’un usage de ce type de répétition préférentielle (échoïque) au sein de leur discours en consultation.
54Pour clore, au vu des statuts communicationnels étudiés (patient/thérapeute/médecin), on peut affirmer que les rôles de chacun se marquent au sein du discours via un usage pragmatique différentiel de la répétition locale, qui tient autant dans le statut des acteurs (patients/médecins/thérapeutes) qu’au contexte d’échange où le patient renforce cette position différentielle. Sur le plan des statuts institutionnels, la répétition locale trace les contours de statuts tels qu’ils sont connus sur le plan sociétal : le patient répond, le médecin questionne et vérifie le partage des informations, le thérapeute écoute. Sur le plan d’une formation renouvelée des médecins à l’entretien médical, il conviendrait peut-être de davantage formaliser la recherche quant au sous‑emploi de certaines des fonctions pragmatiques. Une perspective pourrait être de tester si des médecins, que l’on formerait davantage (Richard et al, 2010) à l’écoute des patients, verraient leur discours investi d’un usage plus différentiel en matière de fonctions pragmatiques de la répétition locale.
55On peut conclure sur le fait, que, dans le cadre des données recueillies et analysées, la répétition locale s’avère, en contexte de soin, non seulement un marqueur d’identification des statuts des locuteurs, mais aussi un sujet de réflexion quant à l’équilibre fonctionnel des discours en consultations médicales et engage ainsi à des pistes de recherche pour de futurs protocoles de formation à la communication auprès des médecins (Millette et al, 2004).
5. Limite et perspectives de l’étude
56Il est important de noter que les résultats de cette étude peuvent être discutés au vu de la nature et la taille de l’échantillon sélectionné. En effet, nous avons choisi de ne pas tenir compte de la variabilité interpersonnelle des locuteurs, en favorisant leurs rôles sociétaux, en les contrastant selon leur statut de patient, de médecin ou de thérapeute. De plus, nous avons choisi de nous restreindre à analyser seulement les hétéro-répétitions locales. Ainsi, il serait pertinent d’analyser les répétitions d’un même locuteur ou encore les hétéro-répétitions à travers un cotexte plus large. Il nous semble donc intéressant d’étendre cette étude à l’ensemble du corpus DECLICS2016, afin de contraster les répétitions des patients et celles des soignants grâce à un plus large panel de locuteurs et d’étudier le phénomène de la répétition locale sous un angle différent, en modifiant les modalités d’analyse sélectionnées pour cette étude.