1La ville est le chronotope par essence de la modernité (Bakhtine, 1978 ; Keunen, 2007). C’est au seuil du XIXe siècle que l’âge industriel, nourri des théories du libéralisme économique, amorce un changement de paradigme décisif dans la manière de concevoir l’environnement urbain. L’accélération du progrès technique investit progressivement les espaces, à mesure que la pensée positiviste se diffuse et finit par devenir, au long du siècle, l’aune à laquelle l’urbanisme mesure son rendement social et politique, mais surtout économique. La ville apparaît alors comme un agent de centralisation des efforts de consolidation et d’exportation des modèles d’organisation capitaliste. Les bouleversements urbanistiques accompagnent les mutations d’une société aristocratique en société de classes, faisant triompher la raison bourgeoise. Le Paris haussmannien pourrait faire figure de paradigme de ces phénomènes. Des contre-modèles à cette conception libérale et capitaliste de la ville apparaissent, avec les exemples, en France, des utopies sociales de la Commune ou du phalanstère fouriéristes. Toutefois, c’est surtout dans le regard porté par la figure du flâneur, de Baudelaire à Benjamin, que se formulent de manière durable les termes d’une critique de la modernité articulée à l’immanence d’un vécu urbain. Antoine Compagnon précise en ce sens que « [l]a définition baudelairienne de la modernité par la double nature du beau exige de l’artiste une conscience critique » (1990, p. 36). Le flâneur définit un nouveau rapport à la ville, à la fois spectateur, témoin et critique des mutations et de l’accélération de son rythme au profit de l’industrialisation. Comme le rappelle Anna Borisenkova, « le flâneur, qui lit la ville, fait plus que la procédure de l’observation. Il défamiliarise le familier et familiarise le non-familier dans la ville » (2017, p. 85). La foule apparaît alors en tant que nouveau paradigme d’appréhension du collectif (de Poe en littérature à Simmel en sociologie), tout autant que le consommateur devient l’archétype d’un modèle social qui considère les individus comme une matière première à exploiter (que l’on pense au grand magasin chez Zola ou encore à la philosophie de Gramsci).
2Au fil du XIXe siècle, suivant la marche croissante de la modernité et l’apparition de ses effets sur les environnements urbains, les arts et les sciences humaines naissantes vont remettre en cause, mais aussi proposer des contre-modèles à la fonctionnalisation de l’espace public, à son investissement par les pouvoirs, ainsi qu’à la disparition de l’individu dans la foule. Nous pensons ici particulièrement aux premiers travaux de sociologie urbaine qui abordent la question du monde moderne, sursollicitant et rendant anonyme l’individu dans la ville (Durkeim, 1899 ; Simmel 2013 [1902] ; Park, Burgess et McKenzie, 1925 ; Chombart de Lauwe, 1952 ; 1956) et aux recherches de Ledrut et Lefebvre, qui interrogent l’impact de l’urbanisme et des politiques sur l’espace de la ville (Ledrut, 1968 ; Lefebvre, 1968 ; 1974). Lefebvre notamment, plaide en 1968 pour un Droit à la ville.
3Les avant-gardes historiques ont, elles aussi, cherché à centrer leurs innovations esthétiques autour d’une possibilité de réappropriation subjective et sensible de la ville. On peut alors penser aux expérimentations menées par Dada qui, dans une démarche de renouvellement de la figure du flâneur, organise ce qui peut être interprété comme la première dérive, menée à l’église Saint-Julien-Le-Pauvre et placée sous le signe du hasard, du scandale et de l’improvisation. Il était question d’investir, par la force féconde de la gratuité et de l’absurde, « le type même de ces monuments sans caractère bien défini comme il en existe encore dans la capitale » (Sanouillet, 2005, p. 214). Le concept est repris quelques années plus tard par les surréalistes dans le cadre d’excursions dépassant cette fois le simple intérêt ludique, et cherchant véritablement à transformer le rapport au quotidien par le recours à l’énergie du rêve, de l’inconscient et du désir.
4Ces pratiques, Guy Debord les récupère et les met à profit dans la constitution d’une notion de dérive, cette fois considérée en dehors de ses limites de pratique culturelle, liées à la figure du flâneur, et réinvestie dans le cadre d’une expérience collective et démocratique de la ville. Il fallait affirmer que « l’avant-garde devait être un jeu ; que la “dérive” dans les quartiers urbains participait de cette aventure » (Joyeux-Prunel, 2021, p. 128). Exploitant les acquis de l’urbanisme et de l’architecture, toutefois débarrassés de leurs assises positivistes et rationalistes, l’Internationale Lettriste, puis Situationniste, s’engagent sur la voie d’une reconfiguration de l’espace urbain selon des principes qui ne se limiteraient pas à la seule dimension utilitaire, vectrice d’aliénation. Il s’agit certes toujours d’intégrer l’art à la vie quotidienne, mais dans une perspective qui prendrait en compte la nécessité pour le sujet de créer de l’espace (le projet New Babylon, développé par Constant Nieuwenhuys). La dérive deviendrait alors dans ce cadre un outil capable de conférer au sujet la capacité de ne plus seulement être un spectateur, mais un acteur à part entière de l’espace urbain. La pensée de Debord, et plus largement celle des situationnistes, véhicule en somme une conception de la ville apte à favoriser l’expression et l’exploration des affects de ses citoyens, et non plus un lieu d’aliénation, où se déploieraient un ensemble de rapports de forces de nature idéologique.
- Note de bas de page 1 :
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« Les habitants de la ville, qui ne sont par leur statut ni des agents municipaux ni des entrepreneurs, peuvent-ils cependant être considérés d’une certaine manière comme des agents urbains ? Leurs activités peuvent-elles avoir indirectement une signification et une fonction collectives (et pas seulement sociales, ce caractère ne faisant pas de doute) ? » (1973 [1968], p. 21).
5En d’autres termes, lorsqu’en 1956 Guy Debord imagine la dérive urbaine, il interroge le sens de l’espace en réactualisant la figure du flâneur dans l’optique de redéfinir le rapport à la ville : il faut la vivre, l’éprouver. En réaction aux villes modernes qui seraient déterminées par les urbanistes, il propose de remettre au cœur de l’espace les effets émotionnels et subjectifs que celui-ci peut susciter. Avec la dérive, la ville est conçue comme un lieu support de la sensibilité des citoyens. Le sujet y devient un actant de l’espace, un « agent urbain »1 dirait Ledrut (1973 [1968], p. 21).
6Pourtant, aujourd’hui, le statut des villes est plus que jamais soumis à des politiques publiques visant à les rendre attractives (Houllier-Guibert, 2019) et commercialement exploitables et donc à devenir lisibles. Paradoxalement, une telle simplification discursive se déroule concomitamment à l’explosion des frontières symboliques et physiques de l’espace urbain. Malgré les tentatives de Lefebvre (1968) en sociologie, de Perec en littérature (1974) et de Sansot dans un versant essayiste (1971), plaidant chacun à leur tour pour un « droit à la ville » ou un droit à la sensibilité urbaine, la ville, simplifiée, lissée, serait, selon Choay (1994), « morte ».
7La ville, déchirée entre une explosion rythmique, spatiale, et une implosion symbolique, ne pourrait-elle pas retrouver sens dans la dérive urbaine ? Si, comme le note Westphal, la sensorialité « concourt à la structuration et à la définition de l’espace » (2007, p. 215), la dérive urbaine ne serait-elle pas, plus que jamais d’actualité, dans un monde où les sens sont sursollicités (Simmel, 2013 [1902]) ? Est-elle toujours possible dans une ville diluée, infiltrée de « non-lieux » (Augé, 1992) ? Ne permettrait-elle pas justement de repenser ces espaces interstitiels et leur définition ?
8En mobilisant la dérive, il devient possible de questionner la perte de substance progressive des espaces urbains, en interrogeant notamment la place de l’individu, et plus particulièrement celle du corps et de sa capacité esthésique. Il semble aussi intéressant de réfléchir à la capacité énonciative de ce même corps ainsi mobilisé dans la ville. Comme l’écrit De Certeau : « l’acte de marcher est au système urbain ce que l’énonciation (le speech act) est à la langue ou aux énoncés proférés […]. La marche semble donc trouver une première définition comme espace d’énonciation » (1980, p. 148).
9Que peut le corps, celui de l’écrivain ou de l’habitant, lorsqu’il se trouve plongé dans la ville ? Peut-on encore dériver de la manière imaginée par Debord et ses compagnons situationnistes ? Cela a-t-il encore du sens ? Ce numéro interdisciplinaire de la revue FLAMME, conçu à la croisée de multiples perspectives culturelles, invite à poursuivre le travail phénoménologique initié par Debord. Il s’agit aussi d’une occasion de questionner l’héritage légué par ses prédécesseurs flâneurs ou autres, en interrogeant la dimension sensible de la ville, dans ses variations comme dans ses dynamiques, faites de leur part de contingence et d’aléatoire.
10La diversité des approches et des contextes culturels mobilisés dans ce numéro invite aussi à se questionner sur les possibilités matérielles et pragmatiques de la dérive. Elle permet de se demander si la dérive, activité finalement restreinte si on la considère en tant que démarche intellectuelle, ne serait pas finalement réservée à une certaine catégorie d’individus, évoluant dans un certain type d’environnements. Les questions de sécurité, mais aussi de praticabilité des espaces parcourus, en tant que produits des conditions socio-historiques favorables à l’épanouissement individuel de nos états de droit contemporains, ne constituent pas une condition universellement partagée. En somme, peut-on dériver partout ? Et de la même manière ? Les articles de ce numéro semblent répondre à cette question par la négative.
- Note de bas de page 2 :
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« The realization of the designers’ plans creates an abstract space of efficiency and Cartesian rationality that often comes to dominate and displace the lived space of human movement and interaction ». La traduction a été réalisée par nos soins.
11Aussi cruel qu’en soit le constat, il paraît en effet évident que l’on ne dérivera pas de la même manière que l’on soit un universitaire qui a sagement lu son Debord, ou un travailleur soumis à l’épuisement du corps ou au rythme infernal des « trois-huit », ou bien encore un ouvrier issu d’un espace dans lequel le droit du travail demeure une perspective fragile, voire chimérique. Il y a fort à parier que ces derniers seront plus avides d’un urgent et bien légitime repos ou encore d’une simple balade, que d’une marche hasardeuse, sportive et par conséquent épuisante. Si la dérive est par essence possible pour tous, elle reste une pratique socio-spatiale (Jodelet, 2015) potentiellement excluante pour un certain nombre d’individus, comme ce pourrait être le cas par exemple du travailleur et de l’ouvrier évoqués précédemment. Leurs pratiques de l’espace urbain ne coïncident pas nécessairement avec les attentes et les règles de la dérive, sans compter que, comme l’a déjà souligné Iris Marion Young, « la réalisation des plans des designers crée un espace abstrait d’efficacité et de rationalité cartésienne qui en vient souvent à dominer et à déplacer l’espace vécu du mouvement et de l’interaction humaine »2 (1990, p. 243). L’aspiration au partage et à la pratique de l’urbain de ces personnes dominées par les idéologies de l’efficacité sociale, politique ou urbanistique sont-elles pour autant illégitimes ?
12On ne dérivera pas non plus de la même manière que l’on évolue dans la sécurité d’un centre-ville résultant d’une politique spatiale rigoureuse (et financièrement dotée) ou dans l’hostilité d’un espace gouverné par la nécessité et la vulnérabilité sociale. À vrai dire, on n’y dérivera pas du tout. La dérive est un luxe, n’ayons crainte de le dire. Elle nécessite un certain confort social, assuré par une sécurité matérielle et des possibilités d’ouvertures politiques et intellectuelles.
13On ne dérivera pas non plus de la même manière que l’on évolue dans la sécurité d’un groupe ou seul, que l’on soit un homme ou une femme, c’est-à-dire une cible potentielle des violences de genre. Rappelons d’ailleurs fermement que ces problèmes ne sont ni l’apanage des pays dits « en développement », ni des périphéries présentées comme des zones de « non-droit » délaissées par des gouvernements démissionnaires. Des données bien concrètes le prouvent : d’après une étude menée par l’Agence européenne des droits fondamentaux (European Union Agency for Fundamental Rights, 2021, p. 1), 83 % des Européennes entre 16 à 29 ans évitent certains espaces publics par crainte pour leur sécurité. Dans ce contexte, être une femme suppose malheureusement bien souvent d’adopter des stratégies d’évitement, de contournement, d’anticiper ses déplacements la nuit, voire de les restreindre, comme en témoigne la pléthore d’applications qui proposent de rendre les déplacements urbains plus sûrs (« Mon Chaperon », « Garde ton Corps »). Même l’application généraliste « CityMapper » a récemment développé une option « rues principales » qui calcule l’itinéraire le plus sécurisé (les « rues plus fréquentées et mieux éclairées ») et propose un suivi à distance et en temps réel par ses proches.
On peut se demander dès lors si la dérive urbaine, conceptualisée par des hommes, peut être pratiquée par une femme ou un groupe de femmes. Théoriquement, oui. Mais, concrètement, cette dérive dépendra des zones urbaines, du moment, et pourra être ponctuée par diverses formes d’interpellations, voire de mises en danger. Cette dérive sera, de facto, contrainte, modulée.
14On le voit se dessiner peu à peu : la dérive, telle que conceptualisée par les situationnistes, se confronte à des limites, plus ou moins franchissables.
15Toutefois la pratique de la ville qu’elle suppose – gratuite et dénuée d’impératifs pragmatiques – a le mérite de nous confronter aux limites de nos propres conceptions de l’urbain. Elle nous incite à devenir vigilants face aux dangers attachés à une certaine forme d’universalisme béat, conçue depuis les centres hégémoniques. Dériver en ville, en tant que pratique plurielle, devrait inviter à reconsidérer la diversité des réalités sociales présentes dans la ville, qui sont de moins en moins visibles – bien que toujours d’une immuable actualité – dans un monde qui s’est globalisé, standardisé, et donc homogénéisé (Ascher, 1995 ; Mons 2013). Leur disparité, distribuée à travers le monde, est le produit du tissage complexe d’un ensemble de rapports de pouvoir entre les nations (le centre et la périphérie, les dominations coloniales), entre les espaces (l’urbain et le rural, le centre et la marge), entre les individus (la classe, la race, le genre).
16C’est en gardant à l’esprit ces nuances, ces inflexions que nous envisageons la dérive tout au long de ce numéro. Nous la considérons à la fois comme un potentiel outil de saisissement et de réappropriation de la ville, mais aussi comme une théorie intellectuelle et artistique inspirante, tout de même limitée par ses aspects parfois élitistes et restreints.
17La dérive urbaine initiée par les situationnistes, fil rouge de ce numéro de FLAMME, est-elle encore capable de penser l’urbain contemporain ? Peut-elle permettre de saisir les possibilités pour le sujet de produire ou de se réapproprier le sens, les sens, voire l’essence, de la ville ?
1. Présentation des contributions
18Afin de proposer des éléments de réponse à ces interrogations, mais aussi de les ouvrir et de les prolonger, la partie thématique de ce numéro de FLAMME consacré à la dérive urbaine propose d’articuler la réflexion commune de ses contributeurs en trois parties. Chacune correspond à un aspect de la réflexion plurielle initiée lors du colloque « Dériver en ville » (09 et 10 novembre 2021).
19La première de ces trois unités, « Théories de la dérive et problématiques contemporaines », rassemble quatre approches théoriques de la dérive urbaine qui s’attachent à éclairer à la fois l’histoire et l’actualité du concept.
20Paul Ardenne, dans une réflexion inaugurale intitulée « Dérives inconditionnelles vs dérives sous condition (ville libre et ville carcérale) », propose une réévaluation de la pratique urbaine de l’usager des villes contemporaines à travers ce qu’il nomme le « coefficient de déplacement libre ». Celui-ci a pour vocation de mesurer symboliquement le degré de liberté octroyée au piéton, en somme le degré de dérive encore possible. Si les situationnistes rêvaient de cités entièrement construites pour favoriser l’éveil intellectuel et sensible de ses habitants, les espaces surveillés, privatisés, publicitarisés, balisés par les politiques touristiques et patrimoniales donnent, au contraire, forme à des conceptions urbaines carcérales et excluantes. Paul Ardenne montre ainsi que l’usage de la ville contemporaine est marqué par un « coefficient de déplacement libre » particulièrement réduit. Le piéton désireux d’y dériver librement sera alors forcé de recourir à des pratiques illégales.
21Dans la continuité d’un tel examen critique, Yvan Chasson propose un détour par les textes fondateurs du situationnisme, plus particulièrement en relation avec le concept de psychogéographie. Dans « Ce que nous disent les textes situationnistes sur la psychogéographie. À la recherche des qualités poétiques de la ville », il met ainsi l’accent sur la relation sensible à la ville que les situationnistes entendaient placer au centre de leurs réflexions sur l’urbain. L’auteur de cette contribution montre la manière dont ce désir de réappropriation des théoriciens de la dérive s’articule à travers un discours à la fois critique, plastique et urbanistique sur la ville moderne.
22C’est également aux discours que s’intéresse Lucile Berthomé, dans « Crise de la ville : le potentiel de la dérive urbaine ». Elle examine notamment les causes et les conséquences de la crise de l’urbain à partir d’une différenciation conceptuelle entre les notions de ville et d’urbain, tout en mettant en lumière la dimension discursive de ce phénomène. Elle montre ainsi dans quelle mesure le marketing contribue à la crise de la ville contemporaine, lissant ses aspérités au profit de stratégies de communication simplifiées et stéréotypées facilitant l’exploitation marchande de leur image. Ce procédé – le citybranding – engendre une réduction de l’image de la ville à un ensemble de signes, de chartes graphiques et de trames narratives qui structurent l’image globale d’une ville lisible, au fond réduite à une seule manière de faire ville. Les impacts concrets de ces politiques publicitaires et touristiques ont des conséquences directes au niveau des réalisations urbanistiques des villes contemporaines. Lucile Berthomé nous invite dès lors à nous demander dans quelle mesure la dérive situationniste pourrait constituer une piste pour répondre à la crise de la ville en permettant une réappropriation de l’urbain.
23Kevin Clementi étudie quant à lui les apports offerts par la psychologie sociale dans l’étude de la relation sensible des individus à l’espace urbain. Il exploite pour cela les outils fournis par la cartographie cognitive qui permet de saisir la construction mentale des agencements spatiaux. Dans sa contribution « Représentations cognitives de l’espace et dérive : quels liens ? », il dresse tout d’abord un solide état de la question quant aux méthodes pluridisciplinaires d’analyse du rapport cognitif à l’espace géographique. Cela lui permet, par la suite, d’étudier l’importance du vécu sociocognitif de l’espace dans la représentation de certains lieux, et donc, in fine, dans les représentations collectives de la ville. L’exemple de Milan est ainsi convoqué pour illustrer la construction du rapport symbolique à l’espace. Cette méthode d’analyse est finalement mise en regard des pratiques situationnistes abordant le rapport sensible des sujets à la ville.
24La deuxième section de ce numéro, intitulée « Formes artistiques et littéraires de la dérive » s’articule autour de déclinaisons éclectiques de la dérive, considérée en tant qu’objet de représentation.
25En ouverture, Nicolas Piedade propose une contribution dédiée à une occurrence littéraire, empruntée à Alfred Jarry, envisagée en tant qu’apport possible au développement du concept de dérive. Dans les Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien (1911), Jarry déploie une trame romanesque expérimentale qui fait appel à une défamiliarisation radicale de la géographie urbaine de Paris. « Le Faustroll d’Alfred Jarry : le voyage “de Paris à Paris par mer”, une dérive romanesque ? » montre que ce phénomène s’appuie sur un ensemble de procédés figurant la relation sensible de l’expérience de la ville éprouvée par les personnages. Ces derniers la traversent sous la forme d’un voyage fluvial inversé, mené sur la terre ferme du pavé parisien, ce qui permet à la métaphore de la dérive de prendre tout son sens dans la manière dont le roman organise un écart, une déviation en relation à la géographie parisienne tout autant qu’aux codes romanesques.
26C’est aussi à Paris que nous mène le travail de Fiona Delahaie « Créations participatives en espaces urbains : entre dérive et ancrage aux vibrations esthésiques du vivant », dans lequel elle développe une approche écosémiotique de deux cas de dérives artistiques participatives. Les pépinières urbaines de Thierry Boutonnier et la Mobile Garden Dress de Nicole Dextras sont ainsi considérées comme autant de tentatives de rétablir un lien esthésique entre l’individu et le milieu urbain dans le cadre d’une coénonciation avec le vivant. Fiona Delahaie montre que la dérive artistique participative propose un glissement de paradigme de la traversée de l’urbain, dès lors orientée vers un réancrage aux multiples manières d’être au sein de la ville. Considérée au sein d’un dialogue entre l’humain et le vivant, la dérive repensée par Boutonnier et Dextras offre ainsi la possibilité au passant d’expérimenter l’espace en fonction d’un rythme unissant l’anthropos à son milieu.
27C’est ensuite une analyse de l’œuvre twittéraire collective montréalaise #dérive, que nous propose Emmanuelle Lescouet. Dans « #dérive : lire Montréal », elle s’interroge notamment sur la possibilité pour cette forme de littérature numérique d’actualiser la figure du museur. Celle-ci permet de saisir certaines modalités d’appréhension collectives de l’espace, mais également de faire ressortir les termes d’une réappropriation de la ville par l’écriture et la lecture participatives. La pratique scripturale de #dérive configure l’environnement montréalais de manière fragmentaire, en fonction des regards que portent sur lui les habitants contribuant au projet. Leur relation sensible à l’espace quotidien se trouve alors renouvelée par une approche poétique, aléatoire et ludique, encouragée par la dimension collective de l’œuvre. Emmanuelle Lescouet montre ainsi la manière dont le simple museur se change en interprète de sa ville par le biais du support numérique participatif et la construction d’un récit collectif en perpétuelle réécriture.
28Nous pourrions dès lors nous demander quelles sont les caractéristiques de ce museur. Telle est la question formulée par Sabine Gadrat dans « Naviguer à l’aveugle dans le flot urbain », qui nous invite à réfléchir à la dérive urbaine lorsque celle-ci sort du cadre et des repères habituels d’appréhension visuelle de l’espace. À travers un corpus narratif produit par des auteurs aveugles, elle propose une réflexion attentive aux moyens disponibles afin de s’approprier la ville lorsque l’on est non-voyant. Sabine Gadrat propose ainsi une approche critique des parcours mis à disposition du marcheur par l’urbanisme à partir de la focale du sujet aveugle et de ses modalités sensibles d’appréhension du monde. Sons, mémoire, imaginaire, ainsi que coopération avec les sujets voyants, déterminent les conditions souvent précaires des déambulations des marcheurs non-voyants, peu considérés par les politiques urbanistiques de la ville contemporaine. Ce détour en dehors des perspectives oculocentrées offre la possibilité de questionner de nombreuses limites de la dérive urbaine, mais aussi d’en ouvrir les pratiques en considérant d’autres modalités sensibles du vécu urbain.
29La troisième et dernière unité du corps thématique de ce numéro, « De la dérive à l’errance : limites d’une méthode », propose d’explorer les limites de la dérive urbaine, notamment grâce à l’examen d’un corpus littéraire et cinématographique contemporain issu d’aires géographiques africaines et latino-américaines. Effectivement, s’intéresser à la dérive hors de son cadre de théorisation européen initial offre la possibilité de produire un examen critique et décentré propre à révéler les limites du concept situationniste.
30Michelle Mouenga Makinda aborde la question de la dérive urbaine au sein des espaces africains contemporains dans sa contribution intitulée « Itinéraire et perception, lecture de la ville en deux trajectoires à partir de Perdre le corps de Théo Ananissoh et de Le Chasseur de lucioles de Janis Otsiemi ». Elle montre en un premier temps la manière dont les deux romans de son corpus s’inscrivent dans le cadre d’un renouveau du discours littéraire africain francophone sur la ville. Le Chasseur de lucioles, du Gabonais Janis Otsiémi (2013), et Perdre le corps, du Togolais Théo Ananissoh (2020), manifestent tous deux un renouvellement du paradigme classique opposant ruralité et urbanité. L’identité culturelle des deux auteurs, et leurs relations aux espaces qu’ils évoquent, constituent les clés du dernier moment de l’analyse de Michelle Mouenga Makinda, qui offre ainsi un examen critique de la dérive situationniste, impossible à pratiquer en territoire conquis par le crime (Otsiémi) ou le dénuement matériel et culturel (Ananissoh).
31Roger Fopa Kuete prolonge cette réflexion autour des espaces africains dans « Ville africaine, ville en crise : la question de la dérive urbaine chez Kossi Efoui, Mũkoma wa Ngũgĩ et Teju Cole », contribution qui aborde la question de la crise de la ville africaine, déclinée tant sur le plan social que politique. Il y analyse trois romans contemporains Solo d’un revenant (2008) de Kossi Efoui, Là où meurent les rêves (2018) de Mũkoma wa Ngũgĩ et Chaque jour appartient au voleur (2006) de Teju Cole, qui mettent chacun à leur manière en récit une même crise sociale, expérimentée par les personnages à l’occasion d’un retour sur leur terre d’origine. En exploitant les postulats théoriques de la géocritique et de la philosophie deleuzienne, Roger Fopa Kuete étudie les tracés des villes africaines à l’aune de dynamiques de pouvoir qui excluent les populations les plus précaires, et génèrent une violence généralisée, alors que le spectre de la colonisation et de ses nouveaux avatars n’est jamais loin. La dérive se révèle par conséquent impossible au sein des espaces urbains en crise représentés par les romanciers.
32Ce sont aussi ces espaces urbains en crises, cette fois étendues aux espaces latino-américains, que Julia Isabel Eissa Osorio aborde dans sa contribution « La dérive dans l’espace de la frontière dans Laberinto (2019) d’Eduardo Antonio Parra et Ya no estoy aquí (2019) de Fernando Frías de la Parra ». Elle développe plus précisément une approche centrée autour de la frontière séparant le Mexique et les États-Unis à travers l’analyse des spatialités urbaines représentées dans le roman Laberinto d’Eduardo Antonio Parra et le film Ya no estoy aquí de Fernando Frías de la Parra. Julia Isabel Eissa Osorio étudie la transformation des villes du nord du Mexique en lien avec les itinéraires de migration et la violence qui les accompagnent. Elle délimite ainsi les contours d’une nouvelle forme de dérive, contrainte par les multiples formes contemporaines de brutalité (politique, économique, et criminelle). Celle-ci se déploie sous la forme d’une errance et d’une perte du territoire, en somme tout l’inverse de ce à quoi aspiraient les situationnistes.
33C’est toujours la ville mexicaine que nous retrouvons avec le travail de Marisol Nava Hernández qui examine, dans « Ciudad tomada de Mauricio Montiel Figueiras : la ciudad-laberinto », la métaphore urbaine récurrente du labyrinthe dans les littératures contemporaines. Le recueil de nouvelles Ciudad tomada de l’écrivain mexicain Mauricio Montiel Figueiras permet à l’auteure de déployer une réflexion attentive aux constructions sémiotiques garantes du lien entretenu par les individus avec la ville, qu’il soit harmonieux ou aliénant. Marisol Nava Hernández utilise pour ce faire le concept de « topoiesis » afin de proposer une analyse des métaphores structurant la relation sensible des personnages de Ciudad tomada. Vivre dans une « ville-labyrinthe » implique alors de se confronter aux isotopies de l’isolement et de la perte, qui font des spatialités urbaines de Montiel Figueiras un lieu privilégié de réflexion sur la perte de sens qui caractérise les environnements familiers propres à la cité contemporaine.
34Mónica Torres Torija envisage la manière dont l’expérience urbaine se trouve informée par la construction d’imaginaires durables qui en influencent le vécu sensible contemporain. Sa contribution, « Monterrey, una cartografía sórdida del crimen : la ciudad como testigo en El asesinato de Paulina Lee de Hugo Valdés », analyse ce phénomène en relation avec la ville de Monterrey, située dans l’État du Nuevo León, au Mexique. Dans le roman El asesinato de Paulina Lee de Hugo Valdés, l’assassinat d’une jeune femme génère le déploiement d’un ensemble de problématiques liées à l’irruption brutale de la modernité industrielle dans le Monterrey des années 1930. La ville devient ainsi elle-même personnage et les bouleversements alors décrits sont autant de symptômes d’un changement de paradigme urbain producteur d’inégalités, de marginalité et de vulnérabilité économiques et sociales. Comme le montre Mónica Torres Torija, la représentation de ces phénomènes permet à Hugo Valdés de questionner, comme par miroir, la nature de la violence et des inégalités présentes dans le Monterrey d’aujourd’hui.
35Enfin, Olga Lidia Ayometzi Sastré, dans une analyse du roman La ciudad, de l’écrivain uruguayen Mario Levrero, s’intéresse aux mécanismes de défamiliarisation introduits au cœur de la représentation de la ville. Dans « Desfigurando el espacio. Análisis de La ciudad, de Mario Levrero », elle montre que celle-ci ne correspond pas aux paradigmes classiques de la cité moderne, réunissant foules, bâtiments, commerces etc. Anonyme, la ville y apparaît au contraire dépeuplée, vide, déplacée. La théorie de l’espace d’Henri Lefebvre permet à Olga Lidia Ayometzi Sastré de bâtir une analyse attentive à la manière dont est perçu, conçu et vécu l’espace urbain. Dans le roman, la ville est ainsi le produit d’une mise en résonance de l’intériorité troublée du personnage de Mario Levrero avec l’environnement urbain, sur lequel elle se projette. Au fil de l’argumentation de l’auteure, le déplacement de la représentation de la ville s’avère être le produit d’un rapport trouble de l’individu avec les espaces de la modernité.
36Cette suite de contributions thématiques est complétée par une section réservée à un ensemble de textes qui informent la démarche à l’origine de ce numéro de FLAMME dédié à la dérive urbaine.
37Un compte rendu détaillé de la dérive urbaine effectuée par les participants du colloque « Dériver en ville » le mardi 09 novembre 2021 est ensuite proposé pour répondre à ces approches théoriques. À partir d’un travail de cartographie sensible effectué à l’issue du parcours et de deux textes en faisant le récit, Lucile Berthomé, Michelle Mouenga Makinda et Nicolas Piedade invitent à analyser cette tentative d’application méthodique d’exploration du tissu urbain limougeaud inspirée de la dérive situationniste. Menée à partir des hypothèses et des acquis du colloque (formalisés dans la première partie de ce numéro de Flamme), l’expérimentation interroge la dimension pratique d’une dérive conçue à partir d’un cadre académique mais menée, de manière pratique, en dehors des espaces réservés à sa conceptualisation scientifique.
38L’entretien avec Bertrand Westphal, mené par Julia Isabel Eissa Osorio, complète cette recherche d’approfondissement théorique. Ce chercheur, en sa qualité de fondateur de la géocritique, conçue comme méthode d’investigation des représentations de l’espace, éclaire de manière plus étendue la question des espaces humains. Dans l’entretien « Nous lisons un livre, mais le livre lit le monde. Alors lire des livres, c’est aussi lire le monde », Bertrand Westphal revient tout d’abord sur la manière dont son approche théorique des spatialités littéraires et artistiques s’est structurée, donnant naissance, à l’aube des années 2000, aux textes pionniers de la géocritique. Il détaille ensuite les concepts clés de sa méthode de travail, qui trouvent également sens à l’aune de travaux plus récents, en étudiant notamment la carte, en sa qualité de support de représentation, ainsi que la relation liant espace et temps. Julia Isabel Eissa Osorio oriente ensuite l’entretien sur les possibles apports de la géocritique pour penser la place de la littérature, et plus largement de l’art contemporain, au sein de la mondialisation. Bertrand Westphal évoque pour finir l’orientation de son travail autour de corpus littéraires et artistiques issus des sphères culturelles latino-américaines, avant de nous livrer, finalement, un aperçu de ses réflexions les plus récentes – et à venir – sur la World Literature.
39Cinq notes de lecture viennent compléter cette section. Elles proposent, tour à tour, d’éclairer l’actualité de la recherche menée sur plusieurs des aires géographiques évoquées dans ce numéro.
40Herman Ghislain Ngoma propose une revue du dernier ouvrage du sociologue gabonais Joseph Tonda, paru en 2021 et intitulé Afrodystopie. La vie dans le rêve d’autrui. Ce livre est d’abord situé dans l’ensemble plus vaste de la production scientifique de son auteur. Herman Ghislain Ngoma montre en cela qu’il résulte d’une réflexion menée de longue date par le chercheur. La notion d’« Afrodystopie » fait alors sens en écho à un ensemble élargi de concepts forgés par Joseph Tonda au cours de sa carrière (le « souverain moderne », « la société des éblouissements », « la valeur », « la chose »…), dans le souci résolu de parvenir à une théorisation exigeante des réalités africaines à partir de l’Afrique elle-même. Les sphères sociales subsahariennes sont ainsi examinées à l’aune d’une approche critique décoloniale, particulièrement originale, qui se donne à lire en écho avec bon nombre de préoccupations contemporaines liées à la mondialisation.
41Toujours dans une perspective d’évocation des expériences coloniales et de leurs effets sur l’appréhension diachronique du devenir de nos sociétés mondialisées, l’historienne spécialiste du Mexique Trilce Laske nous fait cette fois traverser l’océan Atlantique, en proposant un compte rendu de l’ouvrage collectif de 2019 La Iglesia en la construcción de los espacios urbanos, siglos XVI al XVIII. Ce livre est consacré à l’examen des groupes cléricaux de la Nouvelle-Espagne et de leur rôle dans le développement urbain des villes mexicaines entre les XVIe et XVIIIe siècles. Trilce Laske restitue les apports des onze travaux qui composent l’ouvrage coédité par Francisco Javier Cervantes Bello et María del Pilar Martínez López-Cano, en insistant sur leur contribution à l’historiographie de la ville coloniale en relation avec ses acteurs et institutions cléricaux. Elle mentionne alors avec profit le lien de ces dynamiques avec l’histoire sociale, économique, intellectuelle ou encore géopolitique de la Nouvelle-Espagne.
42Vidzu Morales Huitzil prolonge ces réflexions en évoquant la vie intellectuelle de la Nouvelle-Espagne par le biais de la figure de Carlos de Sigüenza y Góngora et de son œuvre El triunfo parténico, édité à nouveaux frais par la chercheuse spécialiste de l’âge d’or espagnol et de la poésie novohispana Martha Lilia Tenorio. Cette nouvelle édition propose une étude préliminaire particulièrement solide, centrée autour des causes d’ordres théologiques et historiques expliquant la valorisation du thème de l’Immaculée Conception au sein des concours littéraires organisés au XVIIe siècle en Nouvelle-Espagne. Elle montre notamment en quoi El triunfo parténico, de Carlos de Sigüenza y Góngora, illustre ce phénomène de manière exemplaire. Vidzu Morales Huitzil détaille ensuite la composition de l’ouvrage, en insistant sur son lien avec les codes littéraires en vigueur au sein des institutions littéraires de la Nouvelle-Espagne, dont la Universidad Pontificia de México.
43Sofía Mateos Gómez propose ensuite, toujours au Mexique, un « Panorama de l’anarchisme au féminin » à travers son compte rendu de l’anthologie critique Las magonistas (1900-1932), dirigée par Rubén Trejo Muñoz. Paru aux Ediciones Quinto Sol en 2021, l’ouvrage s’inscrit dans le cadre d’un renouveau de l’historiographie de la participation des femmes aux mouvements politiques et intellectuels qui ont concouru à la Révolution mexicaine. En réunissant un ensemble de textes journalistiques et militants affiliés au féminisme anarchiste, et avec l’appui des essais de la politologue María del Pilar Padierna Jiménez et de la sociologue Nayeli Morquecho Estrada, Rubén Trejo Muñoz restitue un ensemble de textes parfois devenus rares, dont certains ont même frôlé la disparition. Il parvient de cette manière à offrir à la lecture une vue d’ensemble de la participation féminine à la Révolution mexicaine qui, si elle reste encore en bonne partie à redécouvrir, fut loin d’être marginale, et encore moins négligeable.
44Mario Díaz Domínguez nous invite enfin à un détour par la philosophie. Il nous propose le compte rendu de La interpretación alemana de Platón, ouvrage collectif dirigé par la chercheuse mexicaine Jeannet Ugalde Quintana et publié en 2019. Par le biais des quatorze contributions qu’il réunit, ce livre présente d’importantes clés de compréhension de l’interprétation et du prolongement de la pensée platonicienne dans la tradition philosophique allemande. Le volume dirigé par Jeannet Ugalde Quintana fait état de la pluralité et la fécondité de cette réception, en abordant ses déclinaisons dans les champs de la logique, de la gnoséologie, de l’esthétique et de la philosophie politique. De Schleiermacher à Gadamer, en passant par l’idéalisme allemand et Heidegger, les études passées méticuleusement en revue par Mario Díaz Domínguez permettent de disposer d’une vue d’ensemble du caractère inépuisable de la lecture des textes platoniciens au sein d’une tradition philologique et philosophique de premier plan.
45Notre étude de la dérive prend ensuite un tournant sensible, esthétique, grâce à des propositions artistiques qui invitent à la découverte de représentations urbaines plurielles et éclectiques. L’hégémonie du médium visuel, photographique ou vidéo, au sein de ces œuvres, témoigne d’un besoin, presque viscéral, de se confronter au réel de la ville contemporaine.
46Élodie Merland propose, pour commencer, un souffle, une vision mélancolique et poétique de notre relation aux villes, aux frontières, au monde. Ses clichés photographiques s’ouvrent sur un ailleurs intime empreint d’un silence qui questionne notre place au sein de ces espaces : comment s’y inscrit-on ?
47Dans le travail photographique d’Aurélien Stocco, on ne s’y inscrit pas, car « il n’y a plus de place ». La mélancolie est remplacée par une confrontation sans détour, sans échappatoire, avec l’urbain. L’architecture implacable des années 1980, froide, linéaire, côtoie les formes douces des habitations bordelaises, qui apparaissent comme noyées entre le gigantisme de ces nouvelles formes urbaines et le bleu vif du ciel. Comment y respire-t-on ? Comment y vit-on ?
48On y vit par le regard, par les traces auxquelles semblent répondre les illustrations de la jeune dessinatrice mexicaine Tanemi Sosa Jimenez. Son travail, entre courbes sinueuses – témoins de l’humanité, du corps humain – et lignes froides d’une société dirigiste, construit, lui aussi, une dichotomie conflictuelle de la ville.
49C’est également le Mexique que l’on retrouve dans les photographies mouvementées, diffuses, d’Arturo Rodríguez Torija, artiste de la ville de Chihuahua. L’espace est alors envisagé par le prisme du corps, de son énergie, de sa perception. Une fois encore, il s’agit de saisir par le mouvement la relation, érotique dirait Barthes (1970), entre les corps, d’abord entre eux, puis en résonnance avec les lieux.
50Nous retrouvons une même tentative de saisie du mouvement, cette fois inexorablement confronté à l’immobilité, dans le travail de Flora Basthier, qui interroge l’appréhension de la ville. À travers les œuvres vidéo présentées ici, l’artiste, depuis le cadre fixe d’une caméra installée sur un deux-roues, nous entraîne dans une déambulation urbaine durant laquelle elle promène, à l’instar de reliques, là une assiette en porcelaine dans la ville limougeaude, là un vase chinois dans les rues de Jingdezhen, en Chine.
2. Remerciements
51En clôture à cette introduction, il convient enfin d’exprimer notre plus vive et chaleureuse reconnaissance à l’égard des personnes qui ont permis l’aboutissement du projet « Dériver en ville », sans lesquelles le colloque et le présent numéro de FLAMME n’auraient pu voir le jour.
52En tant que coordinateurs de cette publication, nous souhaitons en premier lieu remercier Cécile Bertin-Elisabeth et Vinciane Trancart, directrices de la revue FLAMME, d’avoir accepté la publication de notre projet. Nous saluons la rigueur et la bienveillance de leur accompagnement. Nous tenions aussi à exprimer notre plus vive reconnaissance aux membres du comité éditorial du numéro « Dériver en ville », pour leur disponibilité, leur pertinence, mais surtout leur ouverture intellectuelle. Nous tenons de même à dûment saluer le travail de Laurent Léger, responsable du traitement et du support informatique de la revue, pour avoir permis de donner corps aux pages de nos contributeurs.
53Il était également important pour nous de reconnaître la dette particulière que nous avons à l’égard du précieux travail de Marie-Caroline Leroux et de Julia Isabel Eissa Osorio pour leur aide dans le traitement des textes en espagnol. Leur patience, leur disponibilité et leur professionnalisme furent un soutien décisif dans notre volonté de maintenir un dialogue entre les cultures que la présence de tant de collaborateurs internationaux dans ce numéro de FLAMME corrobore. Nous remercions également les collègues du département d’anglais, Simon Hierle, Ramón Marti Solano, Benjamin Perriello, Carrie Slayton et Steven Tomastik, qui ont bien voulu consentir à réviser les titres et les résumés des articles proposés ici.
54Nous remercions également l’Université de Limoges, ainsi que les équipes de recherche d’EHIC (Espaces Humains et Interactions Culturelles, U.R. 13334) et du CeReS (Centre de Recherches Sémiotiques, U.R. 14922), pour nous avoir permis d’organiser le colloque international « Dériver en ville : variations sensibles et dynamiques aléatoires en espaces urbains ».
55Nous tenons à exprimer notre reconnaissance particulière aux professeurs Didier Tsala Effa et Bertrand Westphal pour avoir, les premiers, eu l’idée de ce projet et avoir su nous réunir autour de cet objet fécond qu’est la dérive urbaine.
56Nous souhaitons également exprimer notre gratitude envers la coordination des écoles doctorales de la COMUE Léonard de Vinci, dans les personnes de Hendrik Eijsberg et Anthony Merlière, pour avoir assuré l’accompagnement financier et logistique qui a permis au colloque précédemment cité de voir le jour.
57Cet événement n’aurait pas pu connaître le succès qui fut le sien sans la présence de ses invités, Paul Ardenne et Théo Ananissoh, envers qui nous souhaitons ici exprimer notre profonde reconnaissance.
58Une mention particulière ne peut manquer d’être faite pour les membres du comité scientifique « Dériver en ville », à savoir Alexandre Marcelo Bueno, Pierluigi Cervelli, François Coadou, Nedret Oztokat Kiliçeri, Nathalie Roelens, Didier Tsala Effa et Bertrand Westphal.
59Ces remerciements ne sauraient être complets sans citer l’aide précieuse des co-organisateurs du colloque « Dériver en ville », Yvan Chasson et Fulvia Giampaolo. Merci également à nos modérateurs, nos camarades et amis, qui ont bien voulu nous accompagner dès l’origine de ce projet. Que soient donc remerciés Roddy Edoumou Ontsaga, Julia Isabel Eissa Osorio, Demba Mar et Naomi Moussounda Kombila en plus du public qui a répondu présent en nombre lors de l’événement.
3. Comité éditorial du numéro
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Beaurain Christophe, PR, Université de Limoges
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Bertin Yvan, Agrégé de géographie
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Bertin-Elisabeth Cécile, PR, Université de Limoges
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Bueno Alexandre Marcelo, PR, Universidade Presbiteriana Mackenzie
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Bracco Diane, PRAG, Université de Limoges
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Cervelli Pierluigi, PhD, Università la Sapienza di Roma
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Chauvet Emeline, Membre associé d’EHIC, Université de Limoges
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Coadou François, PR, ENSA Limoges
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Collin Franck, MCF-HDR, Université des Antilles (Pôle Martinique)
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Coly Sylvie, Associate Professor, Université de Gambie
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Dechery Laurent, Professor Emeritus, Gustavus Adolphus College
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Eissa Osorio Julia Isabel, Docente, Universidad Autónoma de Tlaxcala
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Gallegos Vargas Jorge Luis, PR, Benemérita Universidad Autónoma de Puebla
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Hierle Simon, PRCE, Université de Limoges
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Krzywkowski Isabelle, PR, Université Grenoble Alpes
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Lacau St Guily Camille, MCF, Sorbonne Université
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Lavou Zoungbo Victorien, PR, Université de Perpignan
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Leroux Marie-Caroline, MCF, Université de Limoges
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Lloveria Vivien, MCF, Université de Limoges
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Lucien Renée Clémentine, MCF, Sorbonne Université
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Malela Buata B., MCF HDR, Université de Mayotte
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Marchan Francis, MCF, Université de Limoges
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Mateos Gomez Sofía, Investigadora asociada, UNAM
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Mbondobari Sylvère, PR, Université Bordeaux Montaigne
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M’Bassi Atéba Raymond, PR, Université de Maroua
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Marti Solano Ramón, MCF HDR, Université de Limoges
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Öztokat Kiliçeri Nedret, PR, İstanbul Üniversitesi
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Palma Castro Alejandro, PR, Benemérita Universidad Autónoma de Puebla
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Perriello Benjamin, PRAG, Université de Limoges
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Roelens Nathalie, PR, Université du Luxembourg
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Rosado Marrero Juan Rogelio, Docente, Universidad Autónoma de Yucatán
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Slayton Carrie, Lectrice (anglais), Université de Limoges
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Togola Adama, Postdoctoral Fellow, McGill University
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Tomastik Steven, Lecteur (anglais), Université de Limoges
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Trancart Vinciane, MCF, Université de Limoges
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Tsala Effa Didier, PR, Université de Limoges
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Westphal Bertrand, PR, Université de Limoges
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Wyslobocki Tomasz, MCF, Uniwersytet Wrocławski