Pierre Bellanger, La souveraineté numérique, Éditions Stock, 2014
Leslie Goufo Zemmo
Pierre Bellanger part du constat selon lequel la souveraineté numérique est pour une nation démocratique l’expression sans entrave sur son territoire de la volonté collective. Il montre qu’en France, et certainement partout en Europe, l’État moderne garantit aux citoyens dans tous les domaines leurs droits et leur liberté. Il est de ce fait l’incarnation de leur autonomie et de leur indépendance. Ceci, bien entendu, peine encore à être le cas dans le cadre des réseaux numériques dont la possibilité de franchir les frontières sans véritable censure profite à bien des égards à Internet. Il démontre ici l’impuissance de l’État à faire face à la force suprême d’Internet qui réduit ses utilisateurs à un statut « juridique d’animal domestique » c’est-à-dire d’objet vivant à la merci du propriétaire (p. 13).
Dans la première partie, Bellanger introduit la notion de résogiciel – néologisme formé de réseau et logiciel – et définit comme « système unifié des services des réseaux et terminaux ». L’auteur prouve qu’il est possible d’organiser la vie en un clic par sa seule force qui a de l’efficacité dans tous les domaines de la vie humaine : économie, automobile, banque, assurance, télécommunication, télévision, cinéma, publicité, commerce, agroalimentaire, robotique marché, économie nucléaire, etc.
Pour le cas de l’automobile par exemple, le choix d’un véhicule sera largement influencé dans les prochaines années par le résogiciel. Il faudra, par exemple, tenir compte du système d’exploitation de son téléphone portable pour envisager la possibilité d’importer ses données mobiles vers son véhicule ce qui facilitera par ailleurs la régulation de la circulation via satellite. En ce qui concerne la santé, on pourra référer aux capteurs du mobile pour donner à chaque instant aux patients des indicateurs sur leur état de santé à l’aide d’une montre ou d’un bracelet capteur qui sera connecté sur le corps permettant à chaque patient d’entretenir une relation intime avec son médecin par le billet du résogiciel. Dans le domaine de l’éducation son apport sera encore plus remarquable. Ce domaine est important du fait qu’il doit garantir à l’apprenant les connaissances essentielles, ainsi que les facultés d’apprentissage et de raisonnement liées à son domaine. L’introduction des résogiciels aidera à développer une meilleure base de données des ouvrages de référence des meilleurs enseignements par des professeurs en ligne et une gamme d’outils pédagogiques adaptées. L’objectif de Bellanger est d’aider le lecteur à visualiser les avantages que présentera la vie à l’ère du résogiciel.
Dans la deuxième partie, il formule l’hypothèse d’une potentielle machine ayant la même capacité de raisonnement que le cerveau humain. Son opérationnalité est estimée par les chercheurs à la troisième décennie de notre siècle et Raymond Kurzeit appelle ce moment la Singularité c’est-à-dire une accélération soudaine des progrès combinés de l’informatique, de la biologie, et des autres sciences qui conduit à l’émergence d’un monde nouveau, amenant à faire fusionner l’humain avec la machine (p. 108). Il est question d’envisager comment confier la gestion de l’humanité à ce « transhumaniste » qui sera la machine et redonner par la même occasion son humanité à l’homme qui l’a perdue en devenant un robot à cause de l’industrie des machines. Pour cela, la relation aux machines devra changer car, aujourd’hui subordonnées aux questions et besoins de l’humain, elles deviendront dans le futur des machines cognitives capable d’apprendre, de connaître leur environnement et leurs utilisateurs. L’auteur réfère ainsi à une suite d’exemple pour montrer ce que serait un monde robotisé.
Dans la troisième partie, Il développe la relation organique entre le réseau internet et les États-Unis. Pour lui, Internet est une création militaire et sa vulgarisation n’est qu’un pur hasard survenu lors du besoin de vouloir l’instaurer dans la recherche universitaire et l’armée. Il pose ainsi l’alliance militaire avec l’industrie du numérique pour montrer que l’ensemble de la recherche sur la performation des éléments numériques (GPS, écran tactile, PC,…) est entièrement financé par des agences de forces armées américaines. Ainsi, les dépenses militaires sont au cœur de tout système numérique américain. Se pose dès lors une alliance entre l’État et Internet, ceci au travers du système de renseignement américain, du contrôle de la cryptographie et de la riposte de l’empire en danger. Cette mainmise des États-Unis sur les logiciels et résogiciels conduit à un pillage des données numériques qui sont des informations personnelles d’un individu. Leur collecte est aujourd’hui réduite aux téléchargements des cookies qui permettent au site de retracer le parcours de l’utilisateur sur Internet. En effet, sans le vouloir, l’utilisateur crée son double numérique et c’est ce dernier qui sera consulté dans le futur lors d’un entretien d’embauche par exemple. Le résogiciel joue de ce fait un rôle de commission rogatoire pour la police car l’utilisateur met à leur disposition de manière inconsciente des informations sur ses choix de vie, ses habitudes et ses passions. Il montre ensuite les mécanismes mis sur pied par les organismes et individus pour résister à cette attaque et réduit toute tentative solutionnaire à la notion d’« opérateur » qui sera le moteur de l’action immédiate (p. 196).
La dernière partie de son ouvrage met un accent sur le statut des données, montrant que les Européens transfèrent massivement leurs données personnelles vers le continent nord-américain. Dès lors que les données sont un bien attribué au citoyen, ce dernier reprend le pouvoir et décide librement de l’usage dans les limites du droit. Pour parer un vol d’identité, l’auteur affirme que le logiciel Open PDS a été créé pour collecter les informations personnelles et les conserver. Ainsi, toutes tentatives d’user de ces données par un tiers, intime l’ordre au logiciel d’avertir immédiatement le propriétaire. Dans un souci de localisation des données, il serait intéressant pour l’auteur de parvenir à démanteler la toute-puissance des USA en contraignant leur gouvernement à sauvegarder leurs données ailleurs que sur leur territoire.
L’urgence se fait donc sentir pour la France et l’Europe d’entrer en possession d’un résogiciel autonome qui garantisse la confidentialité de leurs données. Il s’agit de fonder en somme un champion de l’internet, un résogiciel national, afin qu’il pilote cette mutation en réseau.
L’ouvrage propose une lecture très riche et parfaitement illustrée de données et de chiffres réels du monde numérique et de cet espionnage subtil qu’exercent les États-Unis sur les internautes. À tout égard, il invite chaque utilisateur d’Internet à prendre conscience de l’urgence de ce qui se passe et surtout à reconquérir sa liberté numérique en y retrouvant par la même occasion la maîtrise de son destin. Internet étant ici appréhendé comme une extension de la toute-puissance des États-Unis et il ne dépend qu’à chacun des utilisateurs de stopper cette hégémonie.