La déOClonisation mise en récit par les chansons de Claude Marti The deOClonisation constructed in story by the Claude Marti’songs
Claude Marti est un ancien instituteur audois et un chanteur occitan. Les textes de ses chansons ont été soumis à une analyse thématique de contenu (à laquelle il a été associé et il co-signe l’article). Son résultat a été structuré par les 3 axes du schéma actanciel et a permis de reconstruire un récit de ce que nous avons appelé la déOClonisation. Ce processus, défini dans l’article, englobe la dynamique de « colonisation interne » dont a été victime le pays d’Oc (sud de la France) de la part de l’Etat français ainsi que toutes les luttes du peuple d’Oc pour le respect de ses différences, économique, culturelle et linguistique. Ce combat, ancré dans son histoire, préserve et perpétue une dynamique de décolonisation. Ainsi les axes du récit de la déOClonisation sont, pour celui du savoir, « la communication du dominant », pour celui du vouloir, « la recon-quête du Pays d’Oc » et, pour l’axe du pouvoir, » les luttes d’émancipation ».
Claude Marti es un ex maestro oriundo del Aude y un cantante occitano. La letra de sus canciones ha sido sometida a un análisis temático de contenido (al cual ha sido asociado y es coautor del artículo). El resultado ha sido estructurado por los 3 ejes del esquema actancial y ha permitido reconstruir un relato de lo que hemos llamado la deOclonización. Dicho proceso, definido en el artículo, abarca la dinámica de « colonización interna » de la que ha sido víctima el país de Oc (sur de Francia) por parte del Estado francés, así como todas las luchas del pueblo de Oc por el respeto de sus diferencias, económica, cultural y linguística. Este combate, arraigado en su historia, preserva y perpetúa una dinámica de decolonización, de tal forma que los ejes del relato de la deOclonización son, para el del saber, « la comunicación del dominante », para el del querer, « la recon-quista del País de Oc » y, para el eje del poder, « las luchas emancipadoras ».
Ex-professor de escola primária no distrito de Aude (França), Cláudio Marti também é um cantor occitano. As letras de suas canções foram submetidas a uma análise de conteúdo temática (para o qual ele contribuiu e foi coautor do artigo). Estruturado pelos 3 eixos do esquema actancial, esta análise nos permitiu reconstruir um relato do que chamamos de “desOClonização”. Este processo, definido no artigo, caracteriza a dinâmica de "colonização interna" de que a província de Oc (sul da França) foi vítima do Estado francês e também de todas as lutas do povo desta província pelo respeito às suas diferenças, econômicas, culturais e linguísticas. Essa luta, enraizada em sua história, preserva e perpetua uma dinâmica de descolonização. Assim, os três eixos do relato da desoclonização são : pelo conhecimento, "a comunicação dos dominantes", pelo o desejo, "a reconquista do Pays d'Oc" e, para o poder, "as lutas pela emancipação ”
Claude Marti is a former schoolteacher in Aude French department and An Occitan singer. The texts of his songs were subjected to a thematic content analysis (to which he was associated and he co-signs the article). Its result was structured by the 3 axes of the actancial scheme and allowed to reconstruct a narrative of what we called deOClonization. This process, defined in the article, encompasses the dynamics of "internal colonization" that the country of Oc (southern France) suffered from the French state and all the struggles of the people of Oc for respect for its differences, economic, cultural and linguistic. This struggle, rooted in its history, preserves and perpetuates a dynamic of decolonization. Thus the axes of the narrative of deOclonization are, for that of knowledge, "the communication of the dominant", for that of the will, for "the recon-quest of the Land of Oc" and, for the axis of power, "the struggles of emancipation".
Introduction
- Note de bas de page 1 :
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Il a été durant une longue partie de sa carrière instituteur dans la classe unique du village de Couffoulens (Aude : (http://www.couffoulens.fr/). Il y a d’ailleurs exercé des fonctions de maître-formateur, accueillant dans sa classe des enseignants en formation.
- Note de bas de page 2 :
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Les militants occitans luttent pour le respect du Pays d’Oc, de son économie, de sa culture, de sa langue et pour l’émancipation de son peuple (https://locongres.org/fr/ressources/divers-fr/10950-pichona-istoria-de-la-lenga-occitana-e-de-son-estatut-fr-fr). Marti l’a fait principalement au travers de ses chansons.
Les témoignages qui alimentent ce texte sont tout droit sortis de la guitare de Claude Marti. Cet instituteur, qui a fait la plus grande partie de sa carrière dans une école rurale audoise1, est un militant occitan2 et, depuis la fin des années 60, ses chansons ont accompagné l’histoire des luttes de défense de la langue et de la culture occitanes. Ce maître et chanteur a pris une part active et structurante à l’histoire de ce mouvement et nous avons choisi de mobiliser ses vers pour reconstruire le récit de ce que nous appellerons la déOClonisation.
Quelques précisions liminaires sont nécessaires. D’abord, nous parlerons de Pays d’Oc pour ne pas introduire une confusion préjudiciable et restrictive avec « l’Occitanie », du nom d’une région administrative instaurée en 2016. Ensuite, nous envisagerons le Pays d’Oc comme la victime d’une stratégie de colonisation de l’Etat français, mais une victime non résignée et en lutte pour son émancipation, la reconquête de son territoire, de sa culture, de sa langue et de son autonomie. En cela, son combat retrouve les ressorts de la décolonisation à laquelle est consacrée la livraison de la revue.
L’article comporte trois volets : le premier explicite et définit la déOClonisation, le deuxième pose les repères de la recherche, à savoir le schéma narratif retenu pour le récit et la démarche participative mobilisée (enrôlant Claude Marti, lui-même) tandis que le troisième, le plus important est empirique. Il propose un récit la déOClonisation à partir des textes de Marti.
1 - Problématisation : la déOClonisation
Au-delà du néologisme, il s’agit, dans ce paragraphe, de préciser l’objectif de ce texte eu égard, à la fois, du contexte étudié (le Pays d’Oc) et du thème de la revue (le tournant de la décolonisation).
1.1 - Le Pays d’Oc
- Note de bas de page 3 :
Le Pays d’Oc est géographiquement situé au sud de la Loire et linguistiquement façonné par la langue d’Oc, celle des troubadours, comme l’indique la carte ci-dessous3.
Source : https://ieo-oc.org/spip.php ?page =article&id_article =155
Le Pays d’Oc est rattaché au territoire français depuis le Moyen-Age (le XIIIème siècle et les règnes Capétiens), ce qui requiert de préciser le lien de ce texte avec le thème de la décolonisation. En effet, prétendre investir le processus de décolonisation sous-entend a minima qu’il ait été précédé par un processus de colonisation. Or, dans le cas qui nous occupe, nous sommes à l’intérieur d’un même pays.
1.2 - Une « colonisation interne »
- Note de bas de page 4 :
En première définition, le colonialisme correspond à une « Occupation, exploitation, mise en tutelle d'un territoire sous-développé et sous-peuplé par les ressortissants d'une métropole »4. Dans ce prolongement, une politique colonialiste va viser à instaurer la dépendance pour renforcer un monopole économique et culturel et mobiliser, pour ce faire, des modalités de domination (militaires, politiques ou administratives).
La sociologie mexicaine introduit le concept de « colonialisme interne » qui « correspond à une structure de relations sociales de domination entre des groupes culturels hétérogènes distincts » et qui « englobe des phénomènes de conflit et d'exploitation » (Gonzalez Casanova, 1964 : 294). Bien sûr, sa mobilisation au sein du contexte français requiert de nombreuses précautions mais ce concept permet de caractériser une situation coloniale par une asymétrie des relations économiques, sociales, politiques et culturelles, installée durablement et maintes fois renforcées depuis, entre le Pays d’Oc d’une part et l’État français d’autre part, caractérisé par son centralisme.
Il correspond à une vision particulière de la République récusant la potentialité de la diversité (régionale, culturelle, linguistique, etc.) au profit d’une normalisation à tout crin. Son corollaire est sa traduction dans un rapport de domination des minorités par la majorité, mobilisant au passage la légitimité de l’appareil d’Etat. Ce que conteste Claude Marti :
- Note de bas de page 5 :
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Jean Jaurès (1859-1914) : homme politique français, député socialiste du Tarn :
- Note de bas de page 6 :
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Ernest Ferroul (1853-1921) : homme politique français audois qui joua un rôle très important lors de la révolte des vignerons du Midi en 1907.
- Note de bas de page 7 :
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André Jean Victor Gelu (1806-1885) : poète et chansonnier marseillais de langue provençale
- Note de bas de page 8 :
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Auguste Fourès, (1848-1891) : écrivain et poète audois (Castelnaudary), d'expression française et occitane
- Note de bas de page 9 :
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Antonin Perbosc (1861–1944) : ethnographe et poète occitan, militant pour la décentralisation, pour la démocratie et pour la laïcité
- Note de bas de page 10 :
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Frédéric Mistral (1830-1914) : écrivain et lexicographe français de langue occitane qui obtient, en 1904, le prix Nobel de littérature pour Mirèlha (alors qu’il n’écrit pas dans la langue d’Etat).
- Note de bas de page 11 :
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René Nelli (1906-1982) : poète occitan, philosophe et historien du catharisme, natif de Carcassonne (Aude).
- Note de bas de page 12 :
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Yves Rouquette (1936-2015) : poète et écrivain français, ainsi que militant occitan.
- Note de bas de page 13 :
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Joseph Delteil (1894-1978) : écrivain et poète audois.
- Note de bas de page 14 :
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« Lettre d'un chanteur occitan au président de la République » publiée par Claudie Marti dans « La Dépêche du Midi », édition du 27/06/1999.
La République est un corps vivant, elle est constituée d’une collectivité de citoyens fédérés autour des trois grands principes fondateurs : Liberté, Égalité, Fraternité. C’est au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité que nous demandons aujourd’hui un service minimum de dignité reconnue pour la langue d’oc et les autres langues de la République. La dignité, pour une langue, c’est la possibilité pleine et entière d’être enseignée et apprise, la possibilité de manifester sa présence active -par tous les moyens opportuns- dans tous les lieux et dans toutes les circonstances de la vie des hommes.
Il n’existe pas de peuple inférieur, il n’existe pas de langue mineure : cette certitude, nous la tenons de la République elle-même ! Nous la tenons de ces passeurs de futur que furent Jean Jaurès5 et Ernest Ferroul6, nous la tenons de nos poètes ouvriers, de nos éducateurs, tels Victor Gelu7, Auguste Fourès8, Antonin Perbosc9, Frédéric Mistral10, René Nelli11, Yves Rouquette12, Joseph Delteil13. Une langue n’est pas un simple catalogue de mots, elle est une manière d’être à l’univers, une part irremplaçable de la culture de l’humanité » (Marti, 1999)14.
1.3 - Une colonisation interne constatée
Sans mobiliser ici une analyse détaillée, retenons trois marqueurs significatifs du résultat de ce processus de colonisation interne du Pays d’Oc, qui attestent clairement de ces asymétries : un indicateur culturel (sa langue), un indicateur économique et social (avec un diagnostic du territoire) et un indicateur politique (son traitement administratif).
1.3.1 – Une langue bâillonnée
- Note de bas de page 15 :
En ce qui concerne la langue occitane et, même si les études sont peu nombreuses et pas toujours convergentes, citons les résultats de chercheurs de l’Institut d’Études Occitanes des Hautes-Pyrénées qui « estiment que les locuteurs de l’occitan seraient environ 110.000. Si l’on ramène ce chiffre au nombre d’habitants qui peuplent l’aire linguistique occitane, cela représente 0.73 % »15.
Une autre enquête cible non plus sa maitrise mais sa « connaissance » :
- Note de bas de page 16 :
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Source : https://www.univ-montp3.fr/uoh/occitan/une_langue/co/module_L_occitan_une %20langue_10.html
Si 9 habitants de Midi-Pyrénées sur 10 déclarent avoir déjà entendu parler occitan, ils ne sont plus que 4 % à déclarer avoir une bonne maîtrise de la langue. Seulement 14 % des personnes interrogées déclarent un niveau moyen de compétences en occitan et 32 % disent avoir des notions dans cette langue.16
- Note de bas de page 17 :
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Il reste toutefois l’accent qui est la manière de parler français en pays d’Oc (en incluant un solide lexique spécifique. Voir à ce propos Vavassori, 2002).
Elles attestent d’une langue clairement en déclin qui est certes encore connue et reconnue, mais qui n’est que très peu parlée17. Sa maîtrise ne concerne plus qu’un noyau assez retreint ce qui augure mal de perspectives de développement. Depuis la fin du Moyen-Âge et la promulgation de l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, sous le règne de François Ier, le français devient la langue officielle et l’État n’a de cesse que de réduire l’utilisation et surtout l’influence des « autres » langues, en particulier l’occitan qui se trouve littéralement bâillonné.
- Note de bas de page 18 :
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Chronique publiée dans La Dépêche le 23/10/2005.
La langue d’Oc est reléguée au statut de patois et nous reprenons, à ce propos, une chronique de Claude Marti18 :
- Note de bas de page 19 :
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André Le Nôtre (1613-1700) : jardinier du roi Louis XIV ; il a dessiné et aménagé le parc et les jardins du château de Versailles.
Patois ! Avant même d’en lire la définition, je savais ce vocable insultant. Il portait en lui-même la sonorité du mépris articulée en deux syllabes. Pa - tois ! Sa courte musique évoquait la lourdeur, la démarche pataude d’un langage de peu, tout juste apte à exprimer les besoins élémentaires du serf, du tâcheron, du manant. Patois ! Ce mot fleurait bon le dédain en jabot de dentelles se pavanant dans de somptueux jardins à la Le Nôtre.19 Il empestait la suffisance majeure des potentats locaux les plus minuscules, tout affairés à l’imitation de leurs maîtres. Patois ! Il était à la longue devenu le terme convenu par nos excellences afin de qualifier le langage de ceux qui n’étaient en définitive que de la chair à travail, de la chair à canon, dont les jargons entremêlés formaient du nord au sud et de l’est à l’ouest l’immense mais négligeable rumeur de la plèbe. (…) Il avait même fini par tout recouvrir, nom commun condamnant à l’anonymat toutes les langues de France autres que le français. Le breton ? patois. Le basque ? patois. Et patois le corse, l’alsacien, le flamand, l’occitan. Patois (Marti, 2005)
1.3.2 – Des territoires qui se dépeuplent
En ce qui concerne l’activité économique, une récente étude de l’INSEE conclut :
- Note de bas de page 20 :
Avec la disparition de nombreuses exploitations agricoles familiales et d’anciennes industries, certains territoires d’Occitanie sont aujourd’hui moins peuplés qu’il y a cinquante ans. Au sud du Massif central, dans les Pyrénées et une partie du Gers, les effectifs d’agriculteurs et d’ouvriers ont beaucoup baissé. Ces actifs n’ont été que partiellement remplacés par des cadres, des professions intermédiaires et des employés. Dans ces bassins de vie, le chômage est disparate, souvent bas dans les territoires agricoles et élevé dans les anciens bassins industriels20.
Si l’on excepte les pôles que constituent Toulouse et, à un degré moindre, Montpellier, cet effondrement économique (tant agricole qu’industriel) s’accompagne assez logiquement d’une désertification des territoires dont rend compte la carte fournie par la même enquête :
Cette étude ne concerne certes qu’une partie du Pays d’Oc mais elle est largement représentative de l’ensemble du territoire.
1.3.3 – Un corsetage administratif
- Note de bas de page 21 :
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Les premières lois de décentralisation sont adoptées peu après l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Elles sont préparées par Gaston Defferre, ministre de l'intérieur et de la décentralisation (https://www.vie-publique.fr/eclairage/38438-les-lois-defferre-premieres-lois-de-decentralisation)
Les politiques de décentralisation initiées par les lois Defferre21 au début des années 1980 et poursuivies avec la création des « grandes régions » (2016) pouvait apparaître comme une opportunité, liée aux prérogatives que l’État central abandonnait au profit des collectivités territoriales, principalement les Régions. Cette marge d’autonomie aurait potentiellement pu permettre au Pays d’Oc de se prendre en main et d’assumer son développement économique, social et culturel.
- Note de bas de page 22 :
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Foucault (1975) a bien montré comment le maillage de l’espace était un levier de l’exercice du pouvoir.
Mais la décentralisation est aussi un acte politique et le 1er découpage du territoire en 23 régions a « éparpillé » le Pays d’Oc entre 6 régions (Aquitaine, Languedoc-Roussillon, Limousin, Midi-Pyrénées, Poitou-Charentes et Provence-Alpes-Côte d’Azur). Cette analytique de l’espace22, pour des raisons administratives, a produit un maillage interdisant toute unification. La seconde vague de 2016, sous fond d’harmonisation européenne, a, d’une part, entériné l’éclatement mais a, de plus, normalisé chacune des « grandes » régions. La carte qui suit illustre parfaitement l’écartèlement du Pays d’Oc entre 4 régions :
Source https://www.regions-et-departements.fr/regions-francaises
1.4 – Le tournant de la décolonisation
Le constat apparaît sans appel, le Pays d’Oc présente les caractéristiques d’une colonie : territoire morcelé, agriculture en crise, industries en friche, dépeuplement, langue et culture bâillonnées. Dès lors, peut-on parler de décolonisation ? Dans son acception littérale (« Processus par lequel un pays jusque-là colonisé accède à l'indépendance »), nous ne pouvons qu’entériner que cette indépendance n’existe pas. En revanche, la dynamique d’émancipation est solidement ancrée et les trois processus qui caractérisent le « tournant de la décolonisation » (Maldonado-Torres, 2006-2007) se repèrent aisément au sein du peuple d’Oc même si, là encore, nous ne citerons que quelques marqueurs :
- Note de bas de page 23 :
- Note de bas de page 24 :
- Note de bas de page 25 :
- Note de bas de page 26 :
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Toulouse (https://occitan.univ-tlse2.fr/), Montpellier (http://www.univ-montp3.fr/occitan/) ou Bordeaux (https://www.occitanetudesmetiers.com/occitan-universite-bordeaux.htm)
- Note de bas de page 27 :
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Anecdote significative : Claude Marti fut invité, par le Parti Communiste, à chanter à la fête de l’Humanité.
- Note de bas de page 28 :
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Rappelons qu’en 1936, à Carcassonne, le cortège qui se constitua pour célébrer l’élection d’Henri Gout et du Front Populaire entonna l’Internationale en langue d’Oc : « De pé, los damnats de la terra / De pé, immenses batalhons / Trona la rason justicièra/ Es la fin de l’opression… »
- Note de bas de page 29 :
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Citons la forte proximité avec des figures internationales comme Paco Ibanez et Gilles Servat.
- Note de bas de page 30 :
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Mobilisation Générale Pour Que Vivent Nos Langues : https://www.change.org/p/jean-michel-blanquer-mobilisation-g %C3 %A9n %C3 %A9rale-pour-que-vivent-nos-langues ?fbclid =IwAR2V7d_dQesKxUVL9LkLxz3zHOIBomyKVfC0CaN3rhgPRnGz4kCs___MDQE
- Note de bas de page 31 :
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Rappelons qu’à la suite d’un avis négatif du Conseil Constitutionnel, la France n’a toujours pas ratifié la « Charte européenne des langues régionales ou minoritaires » (https://rm.coe.int/168007c07e)
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La « rationalité décolonisée ». Le Pays d’Oc est structuré par un certain nombre d’institutions qui révèlent une stratégie de décolonisation, une stratégie théorisée de défense et de promotion de la langue et de la culture occitane. Même si depuis le Moyen-Âge et la Croisade contre les Albigeois, les luttes du Sud contre la domination du Nord, furent nombreuses, nous situerons l’institutionnalisation du mouvement occitan autour des années 70 et de la lutte pour le Larzac (dont le slogan identitaire était en langue d’Oc : « Gardarem lo Larzac »). Pour rendre compte de cette institutionnalisation, nous citerons un parti politique23, un militantisme organisé (en particulier l’Institut d’Études Occitanes24, une association qui a « pour but le maintien et le développement de la langue et de la culture occitanes dans son ensemble » et qui fédère 28 sections départementales et 8 sections régionales) ou une école privée laïque (la calandreta)25. Par ailleurs, des filières de formation lui sont consacrées dans les principales Universités de son territoire26 et la parole occitane a une place reconnue dans les médias locaux (presse écrite, radio, télévision).
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« L’attitude décolonisée » : au travers de ses institutions et des actions qu’elles impulsent, le Pays d’Oc poursuit inlassablement (et opiniâtrement) sa lutte pour sa survie et sa reconnaissance. A ce titre, mentionnons l’étendard que constituait la langue d’Oc, à partir des années 1970, pour le secteur viticole (et le Comité d’Action Viticole). La viticulture maillait, à ce moment-là, l’ensemble du peuple d’Oc mais la langue d’Oc s’est, en fait, installée dans tous les mouvements politiques et syndicaux27. Elle est alors la voix (et la voie28) de toutes les luttes, elle est en soutien de tous les combats, au niveau local comme au Larzac mais aussi bien au-delà29 (Catalogne, Bretagne, Corse, Pays basque, Pays valencien, peuple Sioux et peuples d’Amérique du Sud, etc.). La présence et la force de la langue d’Oc ont certes décliné depuis, corollairement à la viticulture, mais reste encore vivace. Citons comme illustration emblématique d’aujourd’hui, son combat30 contre le Ministère de l’Education Nationale, pour la survie de l’enseignement de la langue occitane à l’école31.
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La « décolonisation de la subjectivité » : la langue et la culture occitane sont connues et reconnues (voir 1.3.1 mais voir aussi l’audience des artistes occitans) mais, surtout, l’identité occitane reste présente et le sentiment d’appartenance au peuple d’Oc est très marquée. Elle se définit certes en positif (par adhésion au Pays d’Oc, à son histoire, à sa culture, à ses gens) mais également en négatif (par opposition aux politiques nationales fortement normalisatrices relayée par la traditionnelle condescendance de la capitale envers le Midi).
1.5 – Problématique : la déOClonisation
Ce texte est la proposition d’un récit de la déOClonisation, un récit reconstruit à partir des textes du répertoire de Claude Marti, un instituteur de l’Aude rurale et un militant occitan, un chanteur du Pays d’Oc. Comme nous venons de l’exposer, nous entendons par déOClonisation un processus articulant deux dynamiques qui s’aliment réciproquement :
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Une dynamique de « colonisation interne », initiée par un Etat français dominant, privant le Pays d’Oc de marge d’initiative, d’autonomie et de développement et le plaçant sous une sorte de tutelle politique, économique, sociale et surtout culturelle (en particulier au niveau de la langue). Les effets ont été relevés et cette dynamique est poursuivie, par exemple, au travers du découpage administratif des grandes régions ou de la remise en cause de l’enseignement des langues régionales,
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Un dynamique de décolonisation, du peuple d’Oc qui s’organise et se structure (attestant d’une « rationalité décolonisée ») au travers de modalités diverses et complémentaires d’institutionnalisation, avec le tournant repérable des années 70, qui résiste et qui lutte pour défendre et promouvoir sa langue, sa culture et son territoire (faisant montre à l’occasion d’une « attitude décolonisée ») et qui revendique, une identité occitane alimentée à la fois par une forte adhésion (sentiment d’appartenance au pays d’Oc) et par une opposition très mobilisatrice aux politiques et discours du « colonisateur » français. Cette identité renvoie au troisième marqueur, celui de la « décolonisation de la subjectivité ».
2 – Les fondements de la recherche
- Note de bas de page 32 :
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La plupart sont en occitan, quelques-unes sont en espagnol. Leurs extraits sont traduits dans le texte (et chaque fois référencés au numéro de la chanson concernée) et la traduction a été validée par l’auteur.
Cette recherche vise à élaborer un récit de la déOClonisation en s’appuyant sur le témoignage d’un maître d’école qui est également chanteur occitan. Le point de départ sera son répertoire. 43 chansons32 ont été retenues.
2.1 - Le cadre d’analyse du schéma actanciel
- Note de bas de page 33 :
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Notre approche n’analyse absolument pas les évènements d’un point de vue d’historique (certaines références bibliographiques permettent toutefois au lecteur qui le souhaite d’explorer cette voie) et ne prend pas en compte les dates de sortie des albums : le corpus des chansons est considéré comme un discours global. Ce choix gomme deux étapes dans l’œuvre de Marti, la période de la chanson de luttes (que l’auteur qualifie de « chanson tract ») rendue nécessaire par le contexte (et passage obligé pour sortir du « folklore boulet » selon l’expression de Gilles Servat) et la période où la reconnaissance de la chanson occitane lui a permis d’accueillir de nouveaux textes, d’inspirations plus diversifiées et plus poétiques et aussi de nouveaux rythmes, pour devenir un courant musical à part entière. Le basculement a eu lieu aux alentours des années 80 mais, rappelons-le, nous les avons ici regroupées dans un même « récit ».
L’élaboration d’un récit requiert la convocation d’un schéma narratif pour lequel, au détriment, par exemple, du primat chronologique33 du schéma quinaire (Larivaille, 1974), nous avons retenu le schéma actanciel.
2.1.1 – Du schéma actanciel …
Dans une présentation rapide, nous dirons que ce schéma narratif (Greimas, 1966) mobilise 6 actants pour l’action du récit. Ils figurent dans le schéma suivant :
adjuvant |
sujet |
opposant |
||
|
|
|||
destinateur |
objet |
destinataire |
Les actants sont regroupés en 3 oppositions :
-
l’axe du savoir (destinataire et destinateur), l’axe horizontal (du bas) qui est celui de leur communication avec le héros.
-
l’axe du vouloir (le sujet par rapport à l’objet), l’axe vertical qui correspond au désir, à la quête,
-
l’axe du pouvoir (les adjuvants contre les opposants), l’axe horizontal (du haut) qui correspond à la lutte,
2.1.2 – … au cadre d’analyse
Nous contextualiserons ce schéma au récit de la déOClonisation en reprenant, pour ce faire, les catégories de Greimas. L’objet de l’intrigue est le pays d’Oc. Le sujet (ou le héros) est le peuple occitan, dont le pays d’Oc est l’enjeu de la quête (il souhaite se le réapproprier). Mais ce pays d’Oc est sous l’égide de l’Etat français (le destinateur) qui le domine afin de le normaliser au service de l’unité de la nation française (le destinataire). Ce binôme est le maître du savoir et de l’objet (le pays d’Oc). Il instaure une communication descendante avec le peuple occitan (sujet) qu’il assigne dans un statut de dominé.
Le peuple occitan (sujet) récuse cette domination et persévère dans sa quête de l’objet. La lutte pour son émancipation (et son pouvoir d’agir) n’a comme adjuvants que ses caractéristiques propres (courage, expérience, résistance) pour lutter face aux opposants (et leurs outils de domination mobilisés par le binôme de l’axe du savoir). Le tableau résume l’ensemble :
Axe du pouvoir et de la lutte |
Adjuvants Caractéristiques du peuple occitan |
Sujet Peuple occitan |
Opposants Outils de domination |
Axe du vouloir et de la quête |
|||
Axe du savoir et de la communication |
Destinateur L’état français |
Objet Le pays d’Oc |
Destinataire La nation française |
Source : élaboration propre
2.2 – Méthodologie : un récit polyphonique
Ce texte est écrit à quatre mains et les approches mobilisées pour l’écriture sont inspirées de Todorov (1966) lorsqu'il analyse les « aspects » du récit, la façon dont l'histoire est perçue par le narrateur (p.141-143). Ce texte est le résultat de l’articulation de trois « visions » :
- Note de bas de page 34 :
-
Elle s’appuie sur une analyse de contenu thématique du corpus. Si les 3 premières catégories sont orientées par les axes du modèle de Greimas, les sous-catégories sont construites de manière inductive.
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celle « du dehors »34, celle où le narrateur en sait moins que son personnage (elle se réduit à ce qu'il voit et entend, plus particulièrement les textes des chansons) et qui correspond à une première proposition d’interprétation par J-F Marcel ;
-
celle « avec », celle où le narrateur en sait autant que son personnage (puisqu’il est auteur des textes) et qui prolonge, nuance, complète, conteste ou actualise la précédente et qui a été effectuée par C. Marti ;
-
celle « par derrière », celle de la synthèse des deux précédentes, où les deux narrateurs ont connaissance de deux points de vue différents et sont parvenus à un accord. C’est celle que nous développerons en suivant.
3 – L’axe du savoir : la communication du dominant
Rappelons que pays d’Oc est « colonisé » par l’Etat français (le destinateur) qui met en œuvre une entreprise de normalisation au service de l’unité de la « France éternelle » (le destinataire). Ce binôme est le maître du savoir et il peut instaurer une communication descendante avec le peuple occitan (sujet) qu’il assigne et maintient dans un statut de dominé (voire d’opprimé).
- Note de bas de page 35 :
-
Comme le mauvais vent, le malheur viendra du Nord : « Le Cers est venu du Nord / Comme un cheval de misère ».
- Note de bas de page 36 :
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Ceux qui parlent « pointu » (l’accent parisien et méprisant).
Le rapport entre l’Etat français35 et le pays d’Oc est, dès le départ, déséquilibré (« Nous sommes au fond de la carte / et nous sommes minoritaires »). Les dominants sont les maîtres du savoir officiel, qu’ils explicitent, imposent et administrent sans retenue : « L’histoire, l’ont écrite / Trois savants de Paris / Ils nous ont pris beaucoup de sang / pour en marquer les pages ». Rien n’a changé depuis Galilée (« Les Saintes Officines se maintiennent / Elles savent tout mieux que Dieu ») et leur arrogance et leur suffisance sont intactes : « Je vois des poux gonflés de gloire / Quand je vois les fracimans36 / Dans le grand vent de l’histoire ».
La domination mobilise un maillage serré en manipulant les institutions (« Je n’aurais pas dû croire / Notre député / le Parlement ou l’école / Ce furent mes péchés ») ou en faisant de l’appareil législatif un instrument de coercition (« Maintenant que la loi nous étrangle »). Les forces de l’ordre peuvent sévir : « La République française / Qui aime bien les occitans / Vient d’envoyer sa police / Pour aider les paysans » et la répression colore l’axe de l’échange.
Dès lors, la communication ne peut être qu’unilatérale, le peuple d’Oc se trouve assigné au statut de dominé. Le savoir et l’argent ont installé ces dominants : « Un pays où je suis né / Un pays où ils sont venus / Ils sont venus et ils nous ont pris la terre / Ils sont venus avec la force de l’argent ». La démarche épouse assez fidèlement les caractéristiques de la colonisation « Un jour est venue la conquête / D’abord le fer, le feu, / Ensuite l’argent, les mensonges, / Et la chasse à la langue d’Oc ! / Et se fermèrent les usines, / La terre passa à d’autres mains, / Et les nôtres s’en allèrent ». Le peuple occitan n’a pas su prendre garde aux envahisseurs : « Voici qu’un jour de tramontane / Arriva le peuple corbeaux / Il dit « Nous ne resterons pas longtemps » / Ils sont restés plus de sept siècles / Ils mangèrent tout, les vins et les blés / Les bois et les chants, les hommes et les femmes ».
- Note de bas de page 37 :
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L’entrée en guerre peut constituer une modalité de répression, par exemple envers les soldats de 1907 qui refusèrent de tirer sur leurs « frères » : « Le Gouvernement se vengera / Avec une guerre aux Allemands ».
Avec la conscription (au nom de l’intérêt supérieur de la Nation), les dominants s’octroient le droit de vie et, surtout, de mort sur les dominés37 : « Il faut laisser le Languedoc / Pour s’en aller à la mort / Loin d’ici, il y a un pays / De neige blanche, de ciel gris / Il nous faut y aller mourir (…) / Pour l’Empereur et son fils ». La mort apparaît comme la rançon imparable de la colonisation : « Mort pour rien, bien mort, misère / Pour Louis XIV ou Galliéni, / (…) « Pour la France » disait le notable, « Pour Dieu » disait le clérical / (…) Nous sommes morts pour les profiteurs / Nous sommes morts pour engraisser les riches ».
- Note de bas de page 38 :
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Et même sa mémoire : « Plus personne qui se souvienne / Et ils ont volé nos enfants ».
- Note de bas de page 39 :
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Il est important de relever le lien avec la chanson bretonne et en particulier celle de Gilles Servat : « Notre bonne vielle république / Jalouse des Américains / A fait du parc d'Armorique / Une réserve d'Armoricains » (Les bretons typiques).
Les maîtres du savoir perpétuent leur œuvre de normalisation et le pays d’Oc sera saigné : « C’est le village mort, la terre abandonnée / Je vais vous parler d’un pays qui veut vivre / Je vais vous parler d’un pays qui se meurt » ou « Par la fenêtre ouverte / Tu verras la terre se sécher / Tu verras se vider les mines / Et les usines se fermer ». Ils refusent de le nommer et en gomment jusqu’à son identité38 (« Mais pourquoi, pourquoi, / Ne m’ont-ils pas dit à l’école / Le nom de notre pays ? ») en vue de leur projet d’un territoire asservi, d’une réserve sous dépendance, d’un pays mort : « Ils ont arraché ta vigne / Ils ont fait couler ton sang / Et il ne te reste plus rien / De mille ans de travail / Ils t’ont vendu au tourisme / Tu es un parc national ! »39.
Le peuple d’Oc, « Un peuple fatigué / D’être colonisé, vaincu, matraqué », se trouvera expatrié, par nécessité (« C’était la ferme du grand-père / Tu vois mon fils / Seul un enfant pouvait y vivre / A 14 ans, j’en suis parti / (…) Ce sont des retraités de Lyon / Qui ont mis leurs fleurs / Qui ont mis leurs fleurs sur mon balcon ») ou par incitation (« Laisse ce champ, cette terre / Ce n’est pas pour toi / Et cap au Nord, dans une usine, / Tu travailleras, tu seras mieux. »).
- Note de bas de page 40 :
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N’occultons pas une ambivalence certaine, le « Sé canto » était souvent le moment fort des fêtes scolaires de fin d’année.
Bien sûr, la langue d’Oc est la cible privilégiée des dominants, le savoir ne saurait tolérer quelque forme de dissidence : « Laisse ta langue / Cette force / N’est pas pour toi / Crie en français, ça tu le peux / Parle pointu : c’est plus bourgeois ». Les recommandations du Papet sont précisément « ce que le gouvernement ne voulait pas » : « Il te faut parler haut notre langue / Nous avons été un grand peuple ! ». Elles vont à contre-courant de leur histoire (« Où vas-tu avec tes paroles ? / Maintenant, il te faut chanter en franglais ») et cette histoire des dominants est fortement véhiculée et inculquée par l’école40 : « Le maître d’école / A suffisamment tapé sur mes doigts / Quand je disais les mots / Du dialecte « inutile » ». La langue d’Oc est la subversion, elle doit être étouffée.
4 – L’axe du vouloir : la recon-quête du Pays d’Oc
Dans ce récit, l’objet de l’intrigue est le pays d’Oc. Dominé par un État colonisateur, il est en voie de normalisation au sein d’une nation française centralisatrice. Mais cette colonisation est puissamment contestée par le peuple d’Oc et son pays est toujours l’enjeu principal de sa quête. Après en avoir été spolié, il souhaite à toute force reconquérir, retrouver, se réapproprier le Pays d’Oc.
Le peuple occitan récuse la colonisation fusse-t-elle interne et ce statut de dominé auquel il se trouve assigné (« Ma réponse tu l’auras ici / Dans ma guitare et dans ma langue ») et il persévère résolument dans sa quête du Pays d’Oc : « un pays qui veut vivre ».
- Note de bas de page 41 :
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« Une fête, un matin / C’est ça notre pays / Et nous y sommes majoritaires ».
- Note de bas de page 42 :
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Ces vers sont d’Yves Rouquette.
Cette quête (ou plutôt cette recon-quête) est d’abord basée sur le refus (et, en cela, fait écho au processus de décolonisation), sur le rejet radical des règles imposées par les dominants : « Allons enfants d’Occitanie / Nous ne devons plus aller mourir / Pour rien, pour le roi, pour la République / Il nous faut nous occuper de notre pays » et cette opposition est entière et vivace : « La colère se renforce / De partout en même temps / La honte est abolie / Le pays41 vit au présent »42.
Elle s’enracine dans sa mémoire : « De sang et de chair d’hommes / Siècle par siècle nourrie », la mémoire de « Ce pays, les vieux le disent / qui fut le nôtre dans le passé / Tout était terre occitane / De la montagne à la mer ». Il faut absolument la diffuser et la perpétuer pour préparer le futur : « Ma chanson est témoignage / L’autre temps arrivera / Pauvres hommes du passé / Et toi, vigneron de l’Aude / Toi, mineur de Carmaux / Lip et Larzac, vous tous mes frères / Inventez l’homme de demain ».
- Note de bas de page 43 :
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« Je veux que vous soyez sans pitié / Il ne faut pas manquer le nouveau monde ! »
Mais, dans cette mémoire, il faut aussi, et de manière intransigeante43, faire le tri entre les dominants et leurs complices (« Clemenceau, Thiers, France éternelle / Vous crèverez quand (ma terre) se lèvera ! ») et les figures de référence du peuple d’Oc : « Cité de Carcassonne / Du Comte de Trencavel / Cité de Carcassonne / Les oiseaux reviendront ! » ou « Sur notre terre blanche, Marcelin (Albert) reviendra ».
Reconquérir ce pays d’Oc se fera aussi par le rappel et le retour de ceux qui ont dû partir « Regarde : un poing se lève / Écoute : le fleuve grossit / Je sais que tu reviendras bientôt / Parmi nous autres, tout est clair ». Ce pays fédère son peuple, tout le peuple d’Oc : « Mais tu reviendras devant ton peuple / Qui continue de cheminer / Alors ton village sera grand / Avec toi ».
Pour retrouver son pays, la mobilisation est requise : « Languedoc, si ceux qui travaillent / Un jour se prennent par la main / C’est sûr que dans la tempête / Quelque chose de neuf brillera », « Et jour de Commune / Naîtra mon pays / Occitanie », la mobilisation autour d’une parole à l’unisson : « Ce sera un chant d’hommes libres / Un chant d’hommes courageux / Ce sera un chant d’hommes libres / Dans la langue du Cers ».
Elle est empreinte de la rhétorique de l’espoir : « Nous irons voir les bateaux / Nous lèverons les yeux, nous lèverons les voiles, / Et nous ferons naître l’espoir ! », l’espoir que porte et partage Joan : « Demain ton rêve sera force / Et sur ton pays retrouvé / Soufflera notre vent de l’histoire / Et notre espoir Joan / Notre espoir ».
Comme toutes les quêtes, celle du Pays d’Oc a sa part d’utopie : « Je chanterai de ma voix multiple / Le jour qui vient / Ce grand cri d’indépendance / Notre faim ». Elle dessine un nouveau monde : « L’air résonne d’un grand cri / Toutes les vieilles peurs sont mortes / Il n’y a plus de raison d’État / Le rêve a ouvert la porte / Et le vieux monde est balayé ! », un monde qui ne peut qu’advenir : « Enfin tout ce qui est nôtre / Est sorti de l’obscur / Maintenant elles sont à nous / Les vignes et les villas / A force de travail / Mais moi j’en étais sûr ! » et dont la capillarité reconfigure jusqu’au célèbre et emblématique Plateau : « La paix et la justice / Passeront par le Larzac / C’est un camp de vacances / Le vieux camp militaire ».
Cette utopie est certes coûteuse (« Il me faudrait force et lumière / Des yeux plus grand et le courage / D’espérer au-delà de la nuit / Au-delà du froid, pour voir l’image / D’un peuple redevenu grand / Écoute, il me faudrait trois vies ») mais elle se pare d’universel : « Écoute avancer mes idées / Elles ont le goût de l’universel / Le Midi se voit la peau noire / Toi, ne joue pas au petit blanc », et cette universalité a trouvé son phare (ou son totem) : « Minorités contre l’Empire / Indiens de toutes les couleurs / Nous décoloniserons la terre : Montségur, tu te dresses partout ».
5 – L’axe du pouvoir : les luttes d’émancipation
Pour le peuple d’Oc, il s’agit du pouvoir d’agir et d’exister, un pouvoir qui ne peut se reconquérir que par la lutte contre les dominants, une lutte qui s’inscrit, assez clairement, dans une logique de décolonisation.
L’axe du savoir a mis au jour ses stratégies et ses instruments de coercition : le savoir, bien sûr, en réécrivant l’histoire, mais aussi l’argent, les élus, la loi et ses différentes formes de répressions légales, la conscription (et son corollaire du droit de mort) et les institutions (dont l’école par rapport à l’histoire et par rapport à la langue). Les dominants ont instauré leur mode de communication en assignant le peuple d’Oc dans un statut subalterne. En refusant la résignation de l’opprimé, le peuple d’Oc perpétue sa lutte face à des opposants venus du Nord, et ne disposant, comme adjuvants, que de ses propres ressources.
Cette lutte est juste et légitime : « La terre, tu la connais / C’est la vôtre, mes amis / C’est la tienne, vigneron », une terre pour laquelle un lourd tribut a été payé : « Laissez-moi conter l’histoire / D’un sang bu par ma terre » et une lutte qui ne peut s’exprimer que dans sa langue « Je veux chanter le vent qui parle en langue d’Oc ».
- Note de bas de page 44 :
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Michel Poniatowski, ministre de l’intérieur de 1974 à 1977. Les évènements viticoles auxquels se réfèrent « Les commandos de la nuit » furent marqués, en particulier, par le drame de Montredon en 1976 (Maffre Beaugé, 1977).
- Note de bas de page 45 :
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Ces vers sont d’Yves Rouquette.
Cette légitimité prend ses racines dans l’histoire de ce pays, dans la mémoire de ses glorieux combattants, « Jaurès, Ferroul, jamais morts », « Et Marcelin Albert / Et la Commune de Narbonne / Et ceux qu’ont tué les Croisés / Et Marcelin Albert / Et la Commune de Narbonne / Tous ceux qui ont crié « Liberté » » et elle s’inscrit dans la continuité des luttes passées « Nous n’avons pas eu peur du Tigre / L’année 1907 / On se fiche comme d’une figue / Des menaces de Ponia44 ». Cette histoire, tout comme sa légitimité qu’elle alimente, constituent le premier adjuvant des luttes d’aujourd’hui : « Mais il est vrai que notre histoire pèse / Dans les luttes encore aujourd’hui / Et les hommes sont debout / Et le jour aussi devient rouge / Maintenant que le temps vire au feu45 ».
Elles nourrissent le refus et la révolte qui sont leur combustible et leur cri depuis le Moyen-Âge : « Un homme délivré du poids de ses chaînes / Qu’ont forgées les rois fous et les barons pervers / Et les moines rougis par le feu du brasier / Où brûlèrent vivants mes frères du passé / Qui avaient chanté l’amour et l’amitié humaine / Et mangé le pain blanc pétri d’humanité ! / Je crierai, je crierai ! / Je crierai, je crierai ! ».
Le combat du peuple d’Oc est juste et sa détermination en devient inébranlable : « Laissez-moi conter l’histoire / D’une volonté de fer / D’une jeunesse passée / D’une liberté voulue », « Vous pouvez chanter cigales / Notre place est ici / Souffle la Tramontane / Elle ne nous fera pas partir ». Ce combat est pur, il ne sera jamais récupéré : « Nous choisirons nous mêmes le berger / Avec lequel nous marcherons » et les opposants sont prévenus : « Vendus, baudruches de mensonges / Vous vous tairez bientôt ! Vous vous tairez bientôt ! ».
- Note de bas de page 46 :
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Ces vers sont de Jean Boudou.
L’engagement est toujours puissant (« Ainsi, ils t’ont dit tant de mensonges / Pour te voler l’âme et le cœur / Et tu n’es pas mort / Et tu te réveilles »), mieux, il se développe (« Serre les poings / Nous sommes des milliers et par le monde / Nous ferons plier les menteurs ») d’autant qu’il s’apparente à un véritable va-tout : « Combien sommes-nous pour crier Oc ? / Si nous n’avons plus rien à perdre / On jouera notre dernier jeu ». Dès lors, « Rien ne vaut l’électrochoc / Comme le mal de la terre / Je crache le sang et le feu46 ».
Cet engagement, cette détermination s’appuient sur une solidarité première et fondatrice : « Nous savons bien que sur d’autres routes / Marchent ceux du Minervois / Du Carcassès et de toutes les Corbières » ou « Tous viendront vous aider / A rentrer le troupeau ! Mille hommes de ma terre / Qui chantent ma chanson / Déluge de colère / L’armée de libération ». Elle écarte avec intransigeance la passivité coupable de ceux qui sont devenus les complices objectifs des opposants : « Avance sur le bon chemin / Écoute aboyer la troupe / De ceux qui n’ont jamais / Voulu rentrer dans la lutte ».
- Note de bas de page 47 :
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Relevons une nouvelle fois le clin d’œil à Gilles Servat : « J'ai rencontré ce matin devant la haie de mon champ / Une troupe de marins, d'ouvriers, de paysans / Où allez-vous camarades avec vos fusils chargés / Nous tendrons des embuscades viens rejoindre notre armée » (La blanche hermine).
La lutte devient inexorable et inextinguible. Elle ne se réduit plus seulement à faire « Brûler(ont) sur la Nationale / Les camions des trafiquants » : « Demain, la chasse est ouverte ! Demain, Indiens, nous aurons tout ! Nous avions fui comme des brebis / Aujourd’hui nous revenons comme des loups ! / Le vent égratigne mon visage / Sur mon épaule, le fusil est chargé / On va sortir de la réserve / On mettra le feu au pays »47.
Déjà, elle n’est plus isolée et elle retrouve d’autres combats pour l’émancipation, « La longue marche a commencé » et un autre avenir surgira de la convergence de ces luttes : « Par-delà les mensonges / Maintenant, nous savons / Par-delà les vieux maîtres / Vous nous verrez / Des vieilles chaînes / Nous ferons / Des monuments aux vivants / Euzkadi askatasuna ! Libertat ! / Basques et Catalans / Bretons et Occitans / Nous fabriquerons une Europe de géants ».
Conclusion : la déOClonisation en récit
L’analyse thématique des chansons de Claude Marti, structurée par les 3 axes du schéma actanciel, a permis de reconstruire et de proposer un récit de la déOClonisation riche d’enseignements.
Ce récit éclaire la situation actuelle du Pays d’Oc dans ses relations difficiles et ces nombreux conflits avec l’Etat français, du peuple d’Oc dans sa farouche identité, riche de son histoire et de ses liens avec d’autres minorités, de la langue d’Oc privée sinon de la reconnaissance tout au moins du respect qu’aurait permis, a minima, l’adoption de la « Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ».
- Note de bas de page 48 :
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Je vais vous parler d’un pays qui veut vivre.
- Note de bas de page 49 :
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Je veux chanter le vent qui parle en langue d’oc.
L’ensemble est placé sous le signe de la résistance et de la lutte, solide et vivace, au travers de son histoire, de ses modalités largement diversifiées d’institutionnalisation, de ses gens ; ce peuple d’Oc toujours prompt à se mobiliser contre les marques de domination d’un Etat français, persistant dans sa surdité de la richesse des différences, de cette langue d’Oc qui continue à imprégner et à irriguer, de son lexique et de son accent, le parler du peuple d’Oc. La résistance et la luttent continuent, il s’agit d’une déOClonisation en marche. Les chansons de Claude Marti en constituent un miroir privilégié : « Vos vau parlar d'un país que vòl viure »48, un miroir en langue d’Oc : « Vòli cantar lo vent que parla en lenga d'òc »49.