Inclusion et enseignement de la littérature ou de la langue première, seconde, de scolarisation Inclusion and teaching of literature, or first language, second language, or language of schooling

Anne SARDIER ,
Juliette ELIE-DESCHAMPS 
et Marie-Hélène CUIN 

Ce numéro de la revue Espaces linguistiques interroge le concept d’inclusion dans l’enseignement du français. Il comporte des articles analysant les dispositifs de professionnels mis en place depuis quelques années. Il présente également un regard comparatif sur les discours des enseignants en France et au Canada (Québec). Il propose des mises en œuvre (par exemple : enseignement de la littérature, du lexique) favorisant une inclusion la plus optimale possible.

This issue of the journal Espaces Linguistiques questions the concept of inclusion in the teaching of French. It features articles analyzing the professional systems put in place over the past few years. It also presents a comparative look at the speeches of teachers in France and Canada (Quebec). Finally, it proposes implementations in the classroom (for example: the teaching of literature, of lexicon) to promote the most optimal inclusion possible.

Sommaire
Texte intégral

Introduction

1Lutter contre l’exclusion ou favoriser l’inclusion ? : une évolution terminologique qui a eu lieu dans les discours officiels dès les années 2000 (Bouquet, 2015). Depuis, le terme inclusion apparaît largement dans les discours médiatiques et politiques, tant et si bien qu’il est possible de se demander si « l’inclusion, constamment évoquée, n’est pas employée parfois de manière dévoyée ou abusive » (Bouquet, 2015, p. 15). Pourtant, si « l’intégration crée une confusion dans les fonctions et porte en elle, de manière consubstantielle, l’exclusion » (Gosso, 2005, p. 32), l’inclusion tente de changer cet état de fait.

2De l’intégration à l’inclusion, puis de l’inclusion sociale à l’inclusion éducative, le terme est maintenant utilisé dans la sphère scolaire et vise principalement les sujets porteurs de handicap. Considérant ces évolutions, ce numéro d’Espaces linguistiques s’organise selon deux axes relatifs, d’une part aux dispositifs mis en place et, d’autre part, aux enjeux didactiques liés à l’inclusion scolaire.

1. Inclure sans exclure : profils de classe et posture professionnelle

3Du point de vue social et éducatif, le concept est issu du terme anglais d’inclusive education (Gosso, 2005) ; les élèves à besoins éducatifs particuliers font alors l’objet d’attention, par exemple dans les propositions qui sont faites aux enseignants par l’Éducation Nationale (https://ressources-ecole-inclusive.org/). Les nombreuses ressources en ligne ou les guides existants (par ex., Amouriaux, 2022) permettent-ils aux enseignants de se sentir mieux armés pour accueillir des enfants à besoins spécifiques au sein de leurs classes ?

4Afin d’apporter des éléments de réponse à cette question, l’article de Leslie Amiot, qui ouvre ce numéro, envisage d’analyser des profils de classes pour en envisager l’hétérogénéité comme une chance pour la personne enseignante qui pourra « renouveler sa pédagogie » au vu des propositions de l’autrice, afin d’ « enseigner le français et la littérature à tous ». Mais comment s’organisent alors les différents acteurs intervenant dans ce domaine ? Comment se coordonnent les professionnels pour permettre l’inclusion des enfants ou adolescents ? En quoi la prise en soin aide-t-elle à l’inclusion sociale et, à terme, l’inclusion scolaire ? Par exemple, une rééducation orthophonique auprès des enfants porteurs de troubles du spectre de l’autisme est indispensable pour mettre en place un système de communication, s’il n’y a en a pas, ou pour travailler les habiletés sociales qui font défaut aux individus atteints de ces troubles (Cataix-Nègre, 2011). Peuvent être ainsi interrogés « une pédagogie différenciée, une scolarisation à temps flexible, des collaborations et réseaux interinstitutionnels, l’intervention des services médicosociaux… ainsi que la formation des enseignants à l’éducation inclusive » (Bouquet, 2015, p. 23).

5L’article de Sandrine Dicharry-Pomarez étudie alors « l’émergence du malentendu en formation spécialisée » des enseignantes et enseignants. Grâce à des investigations auprès de personnes enseignantes se préparant au certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (Cappéi) en formation continue, l’autrice cherche alors à « montrer les manières d’être et de faire des enseignants spécialisés en quête d’une évolution personnelle et professionnelle dans une disposition à l’inclusion ». La réflexion mène alors vers l’analyse d’un « style pédagogique inclusif ». On le voit, le passage de l’intégration à l’inclusion entraine un bouleversement des « grilles de lecture […] scolaires » (Ebersold, 2009, p. 74). De « la volonté de scolariser les enfants présentant une déficience ou un trouble d’apprentissage en milieu ordinaire » à « l’exigence faite au système éducatif d’assurer la réussite scolaire et l’inscription sociale de tout élève indépendamment de ses caractéristiques individuelles ou sociales » (Ebersold, 2009, p. 79), comment les enseignants perçoivent-ils les injonctions émanant des décideurs de l’éducation ?

6L’article de Sandrine-Marie Simon, qui clôt cette première partie, explore les discours émis par les personnes enseignantes des deux côtés de l’océan Atlantique en interrogeant les dispositifs proposés dans ces deux pays. À partir d’entretiens semi-directifs menés en France et au Canada (Québec), l’autrice montre comment la perception de l’inclusion présente des points de jonction entre les personnes enseignantes malgré des systèmes éducatifs sensiblement différents et comment « les freins et leviers déjà repérés dévoilent des vulnérabilités [qui] pourraient être transformées en force ».

2. Inclure pour enseigner : enjeux didactiques de l’inclusion scolaire

7Les articles de cette deuxième partie concernent l’enseignement et les apprentissages à l’école en lien avec les domaines de la didactique du français. Plusieurs questions trouvent ici des éléments de réponse : Comment les enseignants accompagnent-ils la lecture des œuvres littéraires ? Certains dispositifs didactiques, comme les cercles de lecture ou la lecture à d’autres, favorisent-ils l’articulation entre enseignement de la langue écrite ou orale et enseignement de la littérature ? Dans quelle mesure la classe peut-elle alors être le lieu plus spécifique d’une prise en compte de la subjectivité lectorale (Hébert, 2009 ; Hébert et Lafontaine, 2010), d’une lecture envisagée comme partage transitionnel (Merlin-Kajman, 2016) ou comme construction de soi (Petit, 2008) ?

8S’intéressant ici à l’écrit, l’article de Marie-Hélène Lachaud concerne l’inclusion socio-professionnelle d’élèves de 16 à 19 ans en classe prépa-apprentissage et présentant des troubles du spectre « dys » et de l’attention, en interrogeant la place de l’écrit dans les pratiques de deux intervenantes auprès de ces élèves. Contrairement à ce que pouvaient pressentir les intervenantes, l’autrice montre ainsi comment « l’ensemble des élèves ayant participé à cette recherche a des pratiques et mobilise des stratégies efficaces dans les usages de l’écrit ».

9Entre lecture et pratique de l’oral, l’article de Dorothée Salès-Hitier, Émilie Chevallier-Rodrigues, Florence Savourin et Pascal Dupont propose ensuite d’examiner « la possibilité de designer les outils d’un dispositif didactique pour le rendre inclusif », dans le cadre de la conception universelle des apprentissages. Les autrices et auteurs se demandent alors en quoi cet aménagement « favorise l’enseignement et l’apprentissage de la lecture à d’autres, considérée ici comme un genre oral ». L’accessibilité aux apprentissages devient alors possible via les reconfigurations didactiques issues du design, notamment celui des outils mobilisés pour la lecture à d’autres.

10Faisant suite à ces propositions, l’article de Claudine Sauvageau et Dominic Anctil aborde la question de l’enseignement-apprentissage du lexique auprès d’élèves à besoins éducatifs particuliers. Ils présentent notamment les effets de la discussion lexicale, identifiée comme un oral réflexif, et qui pourrait permettre de « réduire les disparités entre les élèves à risque et leurs pairs ». La démarche expérimentale menée auprès de six enseignantes et leurs élèves de l’école élémentaire montre les effets bénéfiques de l’oral réflexif sur les apprentissages lexicaux et envisage une nouvelle réflexion quant à l’étayage de la personne enseignant envers les élèves à risque pour les faire progresser davantage, notamment à cause d’un bagage lexical qui peut être plus limité que celui de leurs pairs.

11La question se pose alors de la mobilisation des connaissances existantes, notamment en langue seconde. L’article d’Anne Prunet et Clémence Jensen en passe ici par la littérature pour favoriser l’inclusion en classe de français langue étrangère. Les autrices se proposent alors « d’identifier comment la littérature est par sa matière-même un élément d’inclusivité, et comment une certaine posture méthodologique, impliquant que l’enseignant favorise l’émergence et propose une médiation des propositions d’interprétation du texte des apprenants, favorise l’inclusion ». Dans leur étude, elles montrent que le caractère littéraire du texte à lire ou à produire (notamment le récit de soi) permet d’explorer la subjectivité des lecteurs, leur diversité culturelle et leurs diverses interprétations, favorisant par-là l’inclusivité.

Conclusion

12Ce numéro d’Espaces linguistiques balaye ainsi la question de l’inclusion dans la sphère scolaire, notamment en étudiant tant les apprenants que les intervenants, en analysant des situations diverses suivant des dispositifs et mobilisant des savoirs de différentes natures, tant écrits, oraux, que culturels.

13Ce numéro fournit par-là une base pour prolonger la réflexion autour de la prise en compte des élèves à besoins éducatifs particuliers.

Comité de lecture

  • Sophie ANQUETIL, université de Limoges, France

  • Abdelhadi BELLACHHAB, université de Nantes, France

  • Marie-Anne CHATEAUREYNAUD, université de Bordeaux, France

  • Marie-Hélène CUIN, université de Limoges, France

  • Gaétane DOSTIE, université de Sherbrooke, Canada

  • Juliette ELIE-DESCHAMPS, université de Limoges, France

  • Olga GALATANU, université de Nantes, France

  • Marie-Hélène GIGUÈRE, université du Québec À Montréal, Canada

  • Karima GOUAICH, Aix-Marseille Université, France

  • Marie-Noëlle ROUBAUD, Aix-Marseille Université, France

  • Anne SARDIER, université Clermont Auvergne, France

  • Marie STEFFENS, Utrecht University, Pays-Bas

  • Stéphanie VOLTEAU, université de Poitiers, France