Les équilibres (et déséquilibres) en jeu en matière de conservation de la nature : analyse réflexive de deux missions de terrain (Réserve de l’Amana, Guyane ; Parc National Wild Nephin, Irlande) The Balances (and Imbalances) in Nature Conservation Issues: a Reflective Analysis of Two Field-Trip Missions (Amana Reserve, French Guyana; Wild Nephin National Park, Ireland)
Régis BARRAUD ,
Claire PORTAL ,
Sylvain Guyot
et Nicolas ROLLO
Cet article s’inscrit dans les champs interdisciplinaires de la Political Ecology et des humanités environnementales, qui peuvent constituer un espace de rencontre pour les géographes et les civilisationnistes. Les deux terrains mobilisés sont la Basse-Mana en Guyane (Réserve Naturelle nationale de l’Amana, RNA) et le Parc national du Wild Nephin en Irlande (Mayo). Nous revisitons ces expériences de terrain d’une manière distanciée afin d’analyser plus spécialement les tensions entre équilibres et déséquilibres qui caractérisent ces espaces d’enjeux en matière de conservation de la nature.
This article deals with the interdisciplinary fields of Political Ecology and Environmental Humanities, which can provide exchanges ground for geography and cultural studies. The two fields of study are the Maroni estuary in French Guiana (Amana nature reserve) and Wild Nephin National Park in Ireland (Mayo). We revisit these field experiences in a distance manner, in order to analyze in particular the tensions between equilibrium and imbalance that characterize these high-stakes areas in terms of nature conservation.
Introduction
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Ce texte est issu de la communication du colloque de la Fédération pour l’Étude des Civilisations Contemporaines ; l’étude de cas sur le Wild Nephin a été légèrement remaniée à partir d’un passage du mémoire inédit d’HDR de Régis Barraud (2021).
1Cet article1 prend appui sur le paysage de la conservation de la nature en la mettant en perspective avec la manière dont les stratégies de mises en valeur des territoires, en situations coloniale et postcoloniale, « jouent » avec la dialectique équilibre-déséquilibre. In fine, la conservation de la nature, dans ces contextes précis, s’inscrit-elle dans la filiation d’un mode de pensée colonial ? Nous interrogeons l’articulation des enjeux de conservation et de développement en tant que garant de la justice sociale et environnementale en analysant les récits produits par la conservation de la nature : prennent-ils en compte les subtilités de l’histoire et la sensibilité des mémoires ?
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La mission de terrain en Guyane a été effectuée en mars 2019 (Claire Portal, Régis Barraud, Nicolas Rollo) dans le cadre du projet Pédalo (Fondation de France, 2017-2022) ; en Irlande, elle s’est déroulée en mai 2019 (Claire Portal, Régis Barraud et Sylvain Guyot) (projet Wild-Europe – Institut d’Études Européennes et Globales – Alliance Europa, 2018-2020).
2Cet article propose une réflexion fondée sur une valorisation réflexive de deux expériences de terrain réalisées en 2019. Il s’inscrit dans les champs interdisciplinaires de la Political Ecology et des humanités environnementales. Les deux terrains mobilisés sont ceux de la Basse-Mana au Nord-Ouest de la Guyane (réserve naturelle nationale de l’Amana, RNA) et du Parc national du Wild Nephin en Irlande (Mayo)2. Ces expériences de terrain sont revisitées d’une manière distanciée afin d’analyser plus spécialement les tensions entre équilibres et déséquilibres qui caractérisent ces espaces d’enjeux en matière de conservation de la nature et de développement. Le terrain irlandais, premier abordé, se base sur les échanges qui ont été menés sur place avec Sam Birch, ranger au Parc national du Wild Nephin et Barry Murphy, naturaliste et guide de randonnée. En Guyane, l’approche monographique est fondée sur une expérience de terrain de trois semaines durant laquelle nous avons pu rencontrer une dizaine d’acteurs de la conservation de la nature et de la gestion des territoires. Cette immersion brève mais intense dans cet espace ultramarin marqué par l’instabilité sociale et écologique permet d’interroger les effets évolutifs de la conservation de la nature sur cette configuration territoriale de confins. Nous verrons notamment comment ces tensions peuvent aussi affecter les postures des chercheurs impliqués. Dans les deux cas, malgré leur apparente incomparabilité, nous constaterons des similitudes qui s’ancrent dans les mutations actuelles (changements globaux, évolution des stratégies de protection de la nature) et trouvent racine dans une histoire coloniale et postcoloniale.
1. Le Wild Nephin : de la foresterie industrielle au sauvage labellisé ?
● La mise en place du ré-ensauvagement : vers la requalification écologique d’une plantation forestière industrielle ?
3Le site du Wild Nephin situé dans le comté de Mayo a été saisi depuis une dizaine d’années sous l’angle du ré-ensauvagement (rewilding) à l’initiative de Coillte, entreprise forestière nationale semi-publique. Avant cela, le massif du Nephin (Nephin Beg) et le bassin du fleuve Owenduff (26 000 hectares) ont été intégrés au réseau Natura 2000 en 1997. En 1998, le Parc national de Ballycroy (renommé depuis) a été établi, couvrant une surface d’environ 11 000 hectares au centre du site Natura 2000. Ce parc est le plus récent des six parcs nationaux irlandais. Sur les plans écologiques et paysagers, les tourbières de couverture, les milieux de landes, la présence de plusieurs espèces patrimoniales (saumon atlantique, loutre, oie rieuse) et les paysages emblématiques des uplands (sommet du Slieve Carr, 541 mètres), motivent ce dispositif de protection. Dans les périmètres du parc et du site Natura 2000, le premier enjeu de conservation de la nature est celui du surpâturage : la dégradation des landes sur le temps long a fait l’objet de premières évaluations au début des années 2000 (National Parks and Wildlife Service, 2006).
4En première analyse, ce terrain illustre le renouvellement des représentations sociales comme des modalités de gestion des milieux et des paysages d’uplands. Cependant, les enjeux de conservation de la nature rencontrent également la question coloniale. En effet, dans le contexte irlandais, comme au Royaume Uni, les paysages ouverts font l’objet d’une réinterprétation négative de leur caractère sauvage. Cependant, ici la colonisation est intégrée comme l’un des facteurs clés de la déforestation et du maintien sur la longue durée de la dimension iconique du caractère sauvage des paysages déboisés (Daltun, 2022). La reconquête écologique mobilise donc le fait colonial en questionnant la place de l’arbre et de la forêt dans une région où sa présence la plus visible est liée à la foresterie industrielle.
5Précisément, en 2017, le parc national a été étendu de plus de 4 600 hectares suite à un accord avec la compagnie forestière Coillte. Cette zone appelée Wild Nephin est très loin de répondre aux canons de la wilderness. Il s’agit d’une vaste plantation forestière industrielle dont les peuplements géométriques sont composés d’épicéas sitka (Picea sitchensis) et de pins tordus (Pinus contorta) (fig. 1). Ces forêts industrielles, défavorables à la vie biologique des cours d’eau à salmonidés, ne sont pas totalement abiotiques : on peut y trouver le cerf élaphe, la martre, le faucon émerillon, la bécasse, le bec croisé des sapins, etc. Selon Coillte, le parc national, redésigné dans un premier temps « Ballycroy – Wild Nephin », constitue une réponse à l’adoption de la résolution wilderness par le parlement européen en 2009. La compagnie forestière, en coopération avec le National Park and Wildlife Service (NPWS) et l’administration forestière irlandaise, ont proposé une définition de la wilderness adaptée au contexte irlandais afin de constituer le Wild Nephin en zone atelier de rewilding. Celle-ci est intégrée au document d’engagement du projet Wild Nephin (2013), sa reproduction in extenso semble ici utile pour comprendre l’ambition et les paradoxes du projet discuté ci-après :
A wilderness is a large, remote, wild (or perceived wild), protected and publicly owned landscape with good visual and natural qualities. Natural qualities would include important nature conservation or biodiversity sites, land forms, or geology. A wilderness facilitates humans to experience our connections to the larger community of life through the enjoyment of nature, solitude and challenging primitive recreation, without significant human presence or the intrusion of human structures, artefacts or inappropriate activities while supporting a functioning ecosystem. A wilderness is therefore generally free from human management and manipulation and is an area which allows natural processes take place or where, through a process of rewilding, such natural processes are progressively restored, leading to increased stages of naturalness. A wilderness can include modified landscapes that no longer support long term occupation and/or viable managed landscape. A wilderness should be a minimum of 2000 hectares offering opportunities for solitude and primitive recreation (Coiltte / NPWS / Forest Service, 2013).
Figure 1 : Le Parc national du Wild Nephin (ancien Parc national de Ballycroy et la plantation forestière gérée par Coillte).
Document fourni par S. Birch et reproduit avec l’autorisation du Parc.
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« Rewilding The Nephin Beg Range – Ireland’s First Wilderness » (Coiltte, 2013).
6Soutenue par les élus locaux et nationaux, le comté de Mayo, le NPWS et d’importants acteurs du ré-ensauvagement européen (PAN Parks – European Wilderness Society (EWS), Wild Europe), Coillte engage une campagne de communication fondée, entre autres, sur la diffusion d’une vidéo3.
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Les porteurs de projet ont obtenu un témoignage de soutien de Enda Kenny, ancien ministre de la défense et chef du Fine Gael entre 2002 et 2017 (centre-droit). E. Kenny est originaire de Castlebar, petite ville du comté de Mayo située à quelques kilomètres du site du Wild Nephin.
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Ce parcours exploite les valeurs et images de l’Ouest irlandais sauvage. Certains investissements ont concerné les abords du Parc national de Ballycroy – Wild Nephin (pistes cyclables, projet d’aires de camping, etc.).
7Concrètement, le Wild Nephin, en tant zone de wilderness, doit s’étendre sur environ 8 000 hectares couvrant l’espace initialement dédié à la foresterie industrielle (4 600 hectares) et des terres de tourbières et de landes appartenant au NPWS (Murphy, 2012). Sur cet ensemble unifié, le projet propose la mise en place de deux zonages traduisant une forme de gradient de naturalité (primitive et semi-primitive area, NPWS, 2018). Cinq ans après le lancement du projet, qui a connu une couverture médiatique internationale et un soutien national et local4, un plan de conversion à 15 ans de l’espace dédié à la foresterie a été publié (NPWS, 2018), prévoyant l’engagement d’une série d’actions de restauration écologique jusqu’en 2033. Après cette date, le niveau d’intervention devra être réduit afin de laisser place au libre jeu de processus naturels. Localement, cette action de rewilding a été perçue comme un levier pour renforcer l’attractivité et la fréquentation du Parc national situé sur le parcours touristique de la Wild Atlantic Way5 (Colliers International, 2013).
● Discours et controverses dans le Wild Nephin National Park
8Le projet a fait l’objet de très nombreuses critiques depuis son lancement, les plus sévères ayant été paradoxalement formulées par des naturalistes et des organisations environnementalistes irlandaises. Si dans un premier temps, le projet a été accueilli avec une relative bienveillance par les environnementalistes (arrêt de l’activité de foresterie industrielle, reconquête de boisements natifs, restauration de tourbières, possible retour de l’aigle royal, labellisation du projet par la European Wilderness Society en 2014), l’enthousiasme a rapidement cédé la place aux critiques, relayées par la presse nationale (Viney, 2018).
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Barry Murphy s’est exprimé à plusieurs reprises sur le projet Wild Nephin dans des billets publiés sur son blog. Dès son premier post publié le 17 janvier 2014, il développe une vision critique du projet.
9La rencontre avec Barry Murphy6, naturaliste et guide de randonnée exerçant dans le comté de Mayo a été très éclairante sur la conduite du projet et sa perception sur le terrain. D’emblée, les doutes de B. Murphy ont porté sur la sincérité de la démarche pilotée par Coillte. Il perçoit le projet du Wild Nephin comme une opportunité pour la compagnie de faire valoir son investissement social et environnemental, soit de procéder à une opération de greenwashing. Coiltte, selon notre interlocuteur, aurait beau jeu de sacrifier une zone forestière difficile à exploiter et dont la rentabilité à long terme n’est plus assurée. De plus, l’idée d’associer le terme de wilderness à la zone fortement altérée écologiquement par l’exploitation industrielle des plantations de résineux depuis les années 1950 ne le convainc pas. Les observations de terrain effectuées par B. Murphy vont accentuer ses craintes initiales : il remarque qu’après une brève pause en 2013-2014, les opérations forestières classiques ont repris leur cours dans le périmètre du Wild Nephin. Selon les journalistes de Green News, plateforme web d’information environnementale très reconnue en Irlande, entre 2014 et 2017, plus de 260 000 conifères ont été plantés par Coillte dans le Wild Nephin avec une moyenne annuelle supérieure à 80 000 arbres (Orr, 2017). Dans le même temps, l’engagement des forestiers à diversifier les boisements s’est traduit par la plantation de seulement 25 000 feuillus. B. Murphy redoute que les arbres plantés ne soient un jour ou l’autre récoltés par Coillte en application du principe tacite dit de « retour à meilleure fortune ». Les fondements mêmes du projet de rewilding sont alors problématiques : « If you try to mix a timber harvesting, land owning monolith like Coillte with conservation, then sincerity and commitment are unlikely to be among the ingredients » (Murphy, 2019).
10D’autres éléments relatifs à la gestion du site suscitent la controverse. La volonté d’ouvrir le site aux activités récréatives se traduit par la mise en place de nouveaux artéfacts (abris, escaliers, signalétique). Ces éléments, combinés à la poursuite des activités forestières conduisent B. Murphy à dire, d’une manière volontairement provocatrice, que le site était certainement plus sauvage avant le démarrage de l’opération Wild Nephin. B. Murphy, les journalistes de Green News et les naturalistes de l’Irish Wildlife Trust s’inquiètent également de l’articulation entre la publicisation du site sous l’angle de la wilderness et des projets de développement local fondé sur le tourisme. L’agence nationale de tourisme d’Irlande (Failte Ireland) a en effet annoncé un investissement de 2,1 millions d’euros en 2018 en vue de développer des itinéraires cyclables dont l’un des axes longerait le site du Wild Nephin. À l’est du parc, le Wild Nephin permettrait d’optimiser l’accès au cœur du parc national, l’autre option consistant jusqu’à présent à emprunter le sentier du Bangor trail qui traverse le Parc selon une direction nord-sud. La maison du parc située à Ballycroy, sur le flanc ouest de l’aire protégée, n’autorise pas d’accès vers le parc car celui-ci est bordé de propriétés privées. Cette tentative d’amélioration de l’accessibilité du parc en coupant à travers les plantations abandonnées pose aussi des problèmes importants évoqués par le ranger du parc, Sam Birch : les boisements non entretenus, dans des terrains difficiles (drains, bosses de plantation, clôtures), ne sont pas favorables à une fréquentation touristique familiale. De plus, la question de la gestion du risque d’incendie se posera si les pistes ne sont plus entretenues.
- Note de bas de page 7 :
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Pour une approche simple de la question : https://www.superfolk.com/stories/2019/5/30/why-it-matters-rhododendron-a-terri; d’autres éléments plus techniques sont accessibles ici : https://invasivespeciesireland.com/species-accounts/established/terrestrial/rhododendron
- Note de bas de page 8 :
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Dans le cas irlandais, l’élaboration du sauvage s’enchâsse dans l’histoire coloniale douloureuse du Connaught, province occidentale dans laquelle se trouve le site étudié ici (espace d’exil suite aux massacres d’Oliver Cromwell (1649), zone de dissidence suite aux évènements de 1798, crise de la grande famine et l’émigration associée (1845-1852 ; Bensimon et Colantonio, 2014) mais aussi terras incognitas propice à l’aventure et enfin, terra nullius offrant une justification à l’emprise coloniale des Landlords (Maxwell, 1932 ; McCabe, 1991 ; Kiely, 2010).
11Enfin, au cours de nos échanges avec B. Murphy et S. Birch, le rhododendron est apparu problématique dans la mise en œuvre du rewilding du Wild Nephin7 : l’arbuste affecte les habitats fragiles de landes et tourbières et contraint la régénération naturelle des boisements. Les « rhodos » sont bien implantés sur les marges du parc national, notamment dans les plantations forestières et à leurs marges. Leur contrôle et suppression nécessiteraient un investissement de l’ordre de 8 millions d’euros, soit l’équivalent du budget annuel du parc. Selon B. Murphy, au-delà de la question technique, le défi posé par les « rhodos » révèle la faiblesse des moyens alloués au NPWS et à la gestion de l’environnement en général en Irlande. Par ailleurs, B. Murphy aborde d’une manière plus politique la question des « rhodos ». La plante a été introduite au cours du XVIIIe siècle dans les propriétés des Landlords. Notre guide interprète sa présence actuelle dans le paysage comme un héritage colonial8. Ainsi, les rhododendrons et les paysages déboisés sont des vecteurs de l’histoire du fait colonial. Résultant de schémas de développement économique national, la foresterie industrielle perpétue ce sentiment régional de domination et de marginalisation. Le paysage produit par la conservation de la nature (rewilding) devient alors un enjeu politique spécifique.
● Perspectives
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En mai 2016, le parc national a été labellisé ciel étoilé « gold » par l’association internationale Dark Sky.
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L’Owenduff, fleuve à saumon réputé traversant le parc national, a été intégré à la démarche de labellisation coordonnée par le réseau « rivières sauvages ». Ce processus de labellisation a été initié en 2015, presque en même temps que le lancement du projet Wild Nephin : https://www.rivieres-sauvages.fr/owenduff/
12La trajectoire du Wild Nephin semble chaotique et son devenir est toujours incertain. Le label attribué en 2014-2015 par EWS (wilderness area) a été retiré en 2016 et tous les éléments relatifs à ce projet ont été supprimés du site web de cette organisation. Depuis 2016, la reconnaissance du caractère sauvage du parc a été enrichie par une dimension bien plus consensuelle, celle du ciel étoilé9 ; elle entre aussi en résonnance avec des initiatives de valorisation du tourisme halieutique centré sur les rivières à saumon10. En général, l’étude du Wild Nephin, qui devra se poursuivre, met en débat la question foncière et les modalités d’appropriation des terres. Ce terrain constitue à ce titre un exemple de déséquilibre entre le parc (bien commun « national ») et Coillte (entreprise semi-publique), et illustre l’approche néolibérale de la conservation (Barraud, 2021). Une proposition de B. Murphy de faire de la plantation industrielle du Wild Nephin une forme de nouveau bien commun qui permettrait aux riverains disposant de droits d’usage sur ces terres de prélever le bois durant les cent prochaines années, selon des modalités respectueuses de l’environnement et favorables à la régénération naturelle, serait à étudier.
2. La conservation de la nature en Basse-Mana, vecteur d’équilibre ou de déséquilibres ?
● Un terrain en déséquilibre permanent ?
13La réserve naturelle nationale (RNN) de l’Amana, créée en 1998, se situe dans un territoire d’une très grande singularité. Son appartenance aux territoires ultramarins de la France comme à ceux, qualifiés d’ultrapériphériques, de l’Union européenne, n’épuise pas l’explication des spécificités de cet espace de confins, entre estuaire du Maroni et Basse-Mana. Cette singularité est également caractérisée par la complexité des déséquilibres qui marquent les espaces emboités de la Guyane, « des Guyanes », du sous-continent ou encore de la Caraïbe (Noucher et Polidori, 2020). Instabilité et mobilité sont ici, plus qu’ailleurs, des champs de forces qui orientent l’évolution des milieux, des populations et de l’espace. Ces particularités ont depuis très longtemps mobilisé un investissement scientifique qui, dans un premier temps du moins, a été fortement dépendant des contextes coloniaux et postcoloniaux.
14La situation démographique de la Guyane polarise l’analyse politique des déséquilibres spatiaux et économiques depuis la phase de colonisation et jusqu’à la période actuelle. Toutefois, du « trop peu » de population grevant les stratégies de conquêtes, nous sommes passés à la peur du « trop plein » qui menacerait la cohésion sociale et la mise en œuvre des projets de développement. Dans cette approche, et face à l’immensité de l’intérieur (l’Inini colonial), la tenue du littoral a longtemps été avancée comme une solution de maîtrise de l’espace guyanais et comme une clé de développement. La plupart de ces projets se sont soldés par des échecs cuisants entretenant les tensions à toutes les échelles. La Basse-Mana illustre parfaitement cette trajectoire chaotique qui semble emporter avec elle les projets relevant de la conservation de la nature. Afin d’intégrer à notre propos, de manière synthétique, la présentation de ce terrain et de sa trajectoire de « mise en valeur », nous proposons ci-dessous une carte de situation (figure 2).
Figure 2 : Carte présentant les délimitations de la Réserve Naturelle nationale de l’Amana (RNA) et l’évolution du trait de côte.
Carte extraite du Plan de gestion de la RNA (2017-2022).
● Terrain (é)mouvant : vivre le déséquilibre en situation de recherche
15La mission de terrain avait pour objectif de comprendre comment l’hyper-mobilité du trait de côte et ses effets écologiques pouvaient être pris en charge par un dispositif classique de conservation de la nature, à savoir, une réserve naturelle nationale. Ce terrain ultramarin où l’intensité et la rapidité des changements mettent à l’épreuve les gestionnaires de la nature devait nous permettre d’éclairer les enjeux de relocalisation d’aires protégées du même type situées sur le littoral de l’Ouest de la France. Le projet PEDALO (coordonné par C. Chadenas et financé par la Fondation de France) a contribué à cette réflexion. Toutefois, au contact de ce terrain exploratoire, nous avons rencontré des difficultés à pousser notre questionnement et appliquer notre grille d’analyse, formatés en contexte hexagonal.
16Cet espace ultramarin est fortement marqué par son passé de dominations et par les échecs des initiatives de développement – le plus souvent conçues de manière dirigiste et technocratique – depuis l’extérieur, c'est-à-dire l’État central. Même si les rencontres avec les acteurs de la gestion de la nature étaient associées à une découverte plus large de la Basse-Mana, cette initiation au terrain ne nous permet pas de revendiquer un statut de spécialiste. Elle a cependant contribué à une prise de distance vis-à-vis de nos questionnements de départ. Ainsi, comment ne pas être affecté par l’héritage (sinon les fantômes) de la transportation à Yalimapo, actuel emplacement du village kali’na qui se superpose à l’ancien site colonial des Hattes, là où aujourd’hui encore se pressent les scientifiques, les habitants et les visiteurs éco-touristiques pour assister à la ponte des tortues marines ? Comment ne pas voir le désarroi des habitants autochtones piégés par une sédentarisation récente et la dépendance à l’écotourisme, aujourd’hui menacé par l’érosion côtière et le déclin des populations de tortues ? Comment ne pas ressentir la désillusion des jeunes gestionnaires de la nature qui semblent pris en otage dans un contexte socio-politique d’une très grande complexité ? Nous pourrions encore étoffer ces éléments « semant le trouble » en évoquant la question des relations intercommunautaires, l’invisibilisation politique des réfugiés du conflit surinamais (1988), les tensions relatives à l’habitat spontané et informel (Charvein) ; l’extrême précarité des habitants de l’ancienne léproserie de l’Acarouany, etc.
● Conserver la nature en Basse-Mana : équilibre ou chaos ?
17La Basse-Mana est un espace mouvant, tissé de mobilités humaines et naturelles anciennes (Collomb, 2020 ; Jolivet et Gardel, 2020 ; Léobal, 2020 ; Piantoni, 2020 ; Rostain, 1994) que l’on a cru pouvoir stabiliser par des aménagements, des dispositifs normatifs, des implantations ou encore en projetant des vocations préétablies sur les populations autochtones. Plus récemment, à partir des années 1970, la conservation de la nature s’est imposée comme un vecteur de refondation de l’intérêt national (plus que de l’intérêt commun), orientant les choix d’aménagement et instituant (imposant) des règles d’usage et des délimitations spatiales (Collomb, 2009).
18Alors que l’enjeu de préservation des tortues marines émerge à partir de la fin des années 1960 et que les premiers projets de réserves sont élaborés, l’État français décide de soutenir en 1975 le Plan Vert, censé assurer le décollage agro-industriel de la Guyane. Si le positionnement français d’une filière performante « bois - pâte à papier » constitue l’un des enjeux de ce plan (Jolivet, 1987), l’autre défi identifié est celui de la production massive de denrées alimentaires. On opte alors, dans les années 1980, pour le développement de la riziculture industrielle à Mana, dans un secteur qui avait au préalable testé l’aquaculture (crevette), sans succès. L’esprit et le contenu du Plan Vert sont globalement rejetés par les élus guyanais. Cependant, des investissements conséquents ainsi qu’un accompagnement technique puissant engagent la transformation de la savane (ou du marais) Sarcelle qui est largement poldérisé au début des années 1980. À l’image des autres projets coloniaux et postcoloniaux, le développement fondé sur l’exploitation agro-industrielle à large échelle est un mirage économique de plus (après l’or, la bauxite, le bois, etc.). L’entreprise vire véritablement au fiasco au début des années 2000 alors que l’érosion côtière apparaît comme une cause décisive de l’effondrement du projet. La mise en avant de ces facteurs externes évite de prendre en considération les graves faiblesses écologiques, techniques et économiques du système rizicole mis en place.
- Note de bas de page 11 :
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La Société d’Étude de Protection et d’Aménagement de la Nature en Guyane fut créée en 1964. Elle était étroitement liée au réseau tropicaliste métropolitain de la Société pour l’Étude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans les Régions Intertropicales (1970). Cette association était essentiellement composée d’universitaires en géographie et en médecine (Huetz-de-Lemps, 1997).
19La volonté de protéger la nature guyanaise dans une perspective utilitariste ou selon une stricte logique de préservation émerge en Guyane à partir de la fin des années 1960. Incontestablement, l’enjeu de la protection des tortues marines polarise alors les initiatives à partir de la mise en évidence de l’importance internationale des plages de l’Ouest guyanais pour la ponte des tortues marines (en particulier des tortues Luth) (Pritchard, 1969 ; Fretey et Lescure, 1998). La richesse ornithologique du littoral guyanais est aussi un motif de mobilisation des scientifiques et des premières associations de protection de la nature qui apparaissent au même moment11. Aménagement et protection du littoral guyanais sont donc les deux faces, mal articulées, des stratégies postcoloniales conduites en Guyane. Les projets de mise en valeur du littoral sont relancés dans les années 1970 (Blancaneaux, 1973) et dans le même temps, plusieurs zones humides littorales sont menacées par des pratiques essentiellement citadines de chasse sportive comme c’est le cas en Basse-Mana, à la savane Sarcelle, qui connaît un massacre important d’anatidés à la fin des années 1960 (Condamin, 1975). C’est dans ce contexte que des projets de réserves, portés par l’Orstom, l’administration agricole, forestière ou environnementale, sont soutenus par le Conseil National de la Protection de la Nature dès 1972. Toutefois, la plupart de ces projets échouent dans une grande confusion. Dans le cas de la Basse-Mana, pas moins de 19 projets de réserves sont établis entre 1971 et 1996. Si la réserve naturelle nationale de l’Amana est finalement créée en 1998 suite à une ultime proposition pilotée par l’administration régionale de l’environnement, sa situation actuelle demeure extrêmement fragile et ses vingt-cinq années d’existence ont été véritablement tumultueuses.
20La mise en place d’un dispositif de conservation de la nature, normatif et strict, semble inadaptée à la Basse-Mana et au contexte guyanais en général ; les droits d’usage des populations autochtones sont remis en cause et la gestion locale de la réserve est un échec. Les acteurs impliqués ne parviennent pas à établir de plan de gestion. Cela déclenche plusieurs audits et des changements de gouvernance. La réserve se trouve ainsi gérée, à partir de 2008, par le Parc naturel régional de la Guyane (PNRG), créé en 1994. Ce changement entraîne de nouveaux dysfonctionnements qui révèlent des rivalités politiques internes à la Guyane. Les agents de la réserve, et en particulier les conservateurs, ne parviennent pas à s’installer durablement dans leurs fonctions (CGEDD, 2019).
- Note de bas de page 12 :
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Gérard Collomb souligne la difficulté, dans le contexte de la Basse-Mana, à tracer une frontière nette entre ces usages domestiques et des exploitations commerciales associées à un braconnage conséquent.
21Par ailleurs, la dynamique côtière, bien documentée depuis la fin des années 1970, opère de rapides et importants remaniements du trait de côte et des milieux (Augustinus, 1978 ; Plaziat et Augustinus, 2004 ; Prost, 1985 ; Gensac, 2012 ; Jolivet et Gardel, 2020 ; Brunier et al., 2022). La préservation des tortues marines – destruction et déplacement des lieux de ponte, prédation des chiens et braconnage des œufs – qui avait largement mobilisé scientifiques, ONG, associations et acteurs locaux, est mise à mal. Le prélèvement des œufs, pour un usage domestique, n’a pas été véritablement intégré à la gestion de la réserve, entretenant une conflictualité locale irrésolue (Collomb, 2009)12. La mobilisation pour les tortues, avant la création de la réserve, avait permis d’impliquer les populations autochtones Kali’na en participant à la reconnaissance politique de ces dernières (Filoche, 2011 ; Collomb, 2021). En Basse-Mana, le déséquilibre est un produit hybride des forçages politiques et des dynamiques de nature.
22Initialement, le mode de vie Kali’na intègre l’évolution du trait de côte et une mobilité des implantations villageoises adaptée à un fonctionnement social et aux modalités de mise en œuvre d’une agriculture sur abattis-brulis. L’estuaire de la Mana témoigne parfaitement de la capacité d’adaptation de ces populations au changement du milieu (Marquisar, 2020 ; Palisse et al., 2023). Toutefois, la fixation contemporaine des implantations d’Awala et de Yalimapo suite à l’évolution de la pointe Isère, l’évolution des modes de vie ou encore les contraintes foncières menacent cette qualité de résilience (Marquisar et al., 2024). L’écotourisme développé à partir des années 1970, l’asphaltage de la route et la communalisation d’Awala-Yalimapo ont participé à cette fixation. Aujourd’hui, les gestionnaires de la réserve sont confrontés à l’hyper-mobilité du trait de côte et aux bouleversements écologiques associés, mais les habitants de Yalimapo sont eux directement concernés par un déplacement plus délicat que les précédents.
● Le renouvellement du projet de conservation de la nature en Basse-Mana, vecteur de rééquilibrage ou de nouvelles déstabilisations ?
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Société D’étude et d’Aménagement du Littoral Guyanais.
- Note de bas de page 14 :
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Dans le cas présent, le polder désigne une étendue de terre gagnée sur les marais littoraux et protégée de la mer par une digue. Le polder de Mana a été essentiellement aménagé afin de développer la culture industrielle du riz. Il est donc équipé d’un réseau hydraulique adapté à cette fin.
23La réserve est immense : elle couvre 14 400 hectares. De plus, elle comprend un linéaire côtier de 55 km entre le Maroni et l’Organabo. À cette échelle, des choix de gestion ont été opérés, privilégiant la partie ouest. La Maison de la réserve y est implantée, à proximité du village de Yalimapo. L’enjeu de préservation des tortues marines et les moyens de gestion limités mis à disposition participent au déséquilibre spatial dans la prise en charge de l’aire protégée. Cette situation est renforcée par le passif conflictuel autour de la savane Sarcelle. Elle révèle également le poids de l’héritage d’aménagements aquacoles (canal et bassins de la SODALG13) et surtout rizicoles qui jouxtent le périmètre protégé à l’est de la réserve. Paradoxalement, la crise érosive et l’effondrement de la riziculture, qui entrent en résonnance au début du XXIe siècle (Monadier, 2003), constituent des facteurs de rééquilibrage de la gestion de la réserve. La conservation des tortues marines est toujours d’actualité et fait l’objet de nouvelles initiatives, notamment la mise en place d’écloseries protégeant les œufs. Surtout, une station scientifique du CNRS avec l’Université de Guyane et d’autres partenaires de l’État a été inaugurée et le dispositif EMOPI, dédié entre autres à la lutte contre la pêche illicite, a été mis en place. L’enjeu ornithologique semble aussi regagner en importance. La reconquête du polder14 rizicole dont l’exploitation industrielle a cessé depuis 2010 met en avant cette dimension écologique (200 espèces présentes). La reconquête du polder, non intégré à la réserve, constitue une nouvelle clé d’action publique. Cette initiative de restauration écologique concernant une friche agro-industrielle majeure est engagée à travers le projet européen LIFE ADAPTO (2017-2022), coordonné par le conservatoire de littoral. Ce dernier est devenu au cours des cinq dernières années un opérateur foncier et technique de plus en plus décisif sur le terrain d’étude. Il s’agit de mettre en œuvre une restauration écologique du périmètre rizicole en supprimant les drains favorisant les entrées marines et l’érosion et, à terme, de reconvertir l’espace rizicole en développement des activités agroécologiques (élevage de zébus, maraîchage) et écotouristiques. La question de la régulation cynégétique apparaît comme un enjeu incontournable de la mise en œuvre de la démarche, alors que ce sujet constitue toujours un point d’achoppement dans la gestion de la RNA. Le projet intègre l’adaptation et l’accompagnement du recul du trait de côte qui atteint l’une des vitesses les plus importantes au monde (150 m/an depuis 2006 ; Conservatoire du Littoral, 2020) ; d’ici 2030, le trait de côte pourrait reculer de 700 m et de 1700 m en 2050 (Longueville, 2019).
- Note de bas de page 15 :
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Le récit de la reconquête du polder part de la fondation de Mana. Ici encore, on peut regretter la présentation d’une histoire aseptisée. La dimension coloniale est très largement édulcorée par une description débarrassée de toute aspérité. La fondation de Mana que la mère Anne-Marie Javouhey (Congrégation de Cluny) a dirigée avec le soutien de l’État colonial a très largement bénéficié – quoi que l’on puisse en dire – du support d’esclaves dès 1828, puis d’esclaves « libérés » à partir de 1836 (Jolivet, 1971).
- Note de bas de page 16 :
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Ces valeurs d’emplois, pour une population totale d’environ 5 000 habitants à la fin des années 1990 sont assez importantes si l’on considère la faiblesse globale du taux d’emploi, l’importance du chômage et le poids élevé de l’emploi public.
24Parallèlement à cette requalification-adaptation du polder, on note un réinvestissement – encore discret – par la RNA et le PNRG de la savane Sarcelle (suivis scientifiques, activités de médiation). La mise en récit de la reconquête du polder est élaborée par le conservatoire du littoral (2020, 2022), relayée par les médias nationaux et les réseaux de la conservation de la nature. Elle propose une interprétation positive du rapport à la mobilité du trait de côte en engageant l’acceptation et l’accompagnement du recul. Cependant, ce récit intègre également une version sans aspérité de la relation au projet rizicole issu du Plan Vert. L’impact initial du polder et de l’activité industrielle associée est quasiment éludé (Garrouste, 1998)15. S’agit-il de ménager les sensibilités, de respecter un temps de deuil vis-à-vis de cette activité qui assurait l’emploi d’une soixantaine de salariés permanents et de trente à cinquante saisonniers au plus fort de la production (fin des années 1990 - début 2000)16 ? Le récit « ADAPTO » tend – de manière subtile – à naturaliser le polder, le problème écologique identifié étant sa fermeture suite à l’abandon des casiers. L’idée initiale d’une comptabilité potentielle entre la riziculture industrielle et la conservation des oiseaux semble résister au renouvellement des stratégies de développement et à leur mise en récit. L’ouverture des paysages du polder via l’ingénierie hydraulique et l’agropastoralisme est pensée comme une clé de la préservation du patrimoine ornithologique d’importance internationale : il s’agit donc de faire avec le polder en le requalifiant. La démarche partenariale intègre les perceptions habitantes (Hilbert, 2021) et vante les atouts d’un projet co-construit. Il conviendrait toutefois de relativiser assez nettement cela. L’écotourisme et l’agroécologie sont les pistes privilégiées par les ONG (rapport WWF, 2018) et par l’État. En effet, la France défend à présent l’arrimage de la protection de la biodiversité et du développement économique, sans parvenir à gommer toutes les ambiguïtés (Galochet et Morel, 2015 ; Besse et Steinfelder, 2017). À ce stade, on ne perçoit pas encore très bien la part du « local » dans le projet, ni dans l’évolution de la gestion de la réserve, laquelle a de nouveau été confiée, après de nombreux atermoiements et de manière temporaire, au PNRG fin 2022. Il ne s’agit pas de laisser le champ à une vision essentialiste des populations autochtones ou encore de favoriser une approche communautariste (Grenand, Bahuchet et Grenand, 2006 ; Jacob, Palisse et Aubertin, 2020) mais on peut s’interroger sur la manière actuelle d’intégrer au dispositif de conservation les savoirs et les usages domestiques des habitants de la Basse-Mana. Il n’est pas certain, dans la configuration observée, que le nouvel arrimage entre protection de la biodiversité et développement évite les écueils des stratégies précédentes de mise en valeur du littoral guyanais (Grenand et Grenand, 1975 ; Jolivet, 1987 ; Puyo, 2016).
Conclusion
25Ces deux situations et les expériences de terrain auxquelles elles ont donné lieu permettent de relever les apories qui sous-tendent la manière d’apprécier et de traiter les équilibres et les déséquilibres, dans le champ de la conservation de la nature comme dans celui du développement. L’héritage colonial et la résilience des modes de pensée ou représentations postcoloniales participent d’une manière significative aux tensions sociales et politiques identifiées. En arrimant la conservation de la nature aux nouveaux projets de développement économique, établis depuis l’extérieur du territoire guyanais par les ONG, l’État français répond en premier lieu à des enjeux politiques nationaux et de géostratégie internationale. Sur les deux terrains, l’émergence de projets contractuels qui mobilisent des acteurs privés, ou plus exactement des partenariats public-privé, ne semble modifier que marginalement la prise en compte des populations locales et des minorités autochtones dans le cas de la Basse-Mana. La richesse potentielle de l’interculturalité est trop peu exploitée dans ces nouveaux projets. Ils permettent sans doute de reconfigurer positivement les rapports aux mobilités ou aux effets d’inertie relevant des processus naturels, mais – pour le moment – leurs effets sociaux, économiques et politiques sont très incertains. Dans les deux situations, les aires protégées et les actions de conservation sont relativement mal intégrées aux territoires et plus largement aux espaces vécus.