Langue première et inclusion socio-professionnelle : quelle place pour l’écrit dans les pratiques auprès d’élèves avec troubles du spectre « dys » et de l’attention ? First language and socio-professional inclusion: what place for writing in practices with students with “dys” and attention spectrum disorders?
Au travail comme en formation, les usages de l’écrit sont incontournables et les troubles d’apprentissage du spectre « dys » et de l’attention présentent des difficultés en lecture comme en écriture. La recherche présentée dans cet article est réalisée en France, dans une classe prépa-apprentissage destinée à des élèves atteints de troubles du spectre « dys » et de l’attention. Le but est de mieux comprendre les propositions didactiques sous l’angle de la langue première et de l’inclusion sociale et professionnelle. L’hypothèse est qu’un trio « sens, confiance et créativité », fil d’Ariane des pratiques pédagogiques, favoriserait l’engagement des élèves avec troubles des apprentissages « dys » dans leurs apprentissages tout en prenant davantage en compte leurs acquis littéraciques. L’analyse des discours des intervenantes met en relief l’écart entre la perception qu’elles ont du rapport à l’écrit des élèves et les pratiques personnelles de ces derniers. Ces pratiques permettent de décrire des stratégies et procédures efficaces en lecture comme en écriture.
At work as in training, the use of writing is essential, and learning disabilities on the “dys” spectrum and attention deficit disorders lead to difficulties in reading and writing. The research presented in this article was carried out in France, in a pre-apprenticeship class for students with learning difficulties on the “dys” spectrum. The aim is to gain a better understanding of the didactic proposals from the point of view of primary language, and social and professional inclusion. The hypothesis is that a trio of “meaning, confidence and creativity”, the Ariadne’s thread of pedagogical practices, would encourage students’ engagement in their learning while taking greater account of their literacy achievements. An analysis of the speakers’ discourse highlights the gap between their perception of students’ relationship with writing and their own personal practices. These practices make it possible to describe effective strategies and procedures for both reading and writing.
Introduction : contexte de la recherche et problématique
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Bien que le terme « apprenant » soit retenu dans le contexte de la formation continue et donc de la classe prépa-apprentissage, nous utilisons celui d’élève pour sa fonction épicène.
1La recherche présentée dans cet article est qualitative. Elle est menée en France depuis 2020 auprès de neuf élèves1 d’une classe prépa-apprentissage destinée à des publics avec troubles du spectre « dys » et de l’attention. Âgés de 16 à 19 ans, ces derniers ont quitté le système scolaire et sont en recherche d’une voie professionnelle. Cette classe vise à faciliter l’orientation et l’accès à l’emploi en permettant aux élèves de s’impliquer dans leurs apprentissages et leur orientation professionnelle. Les apprentissages s’organisent selon trois axes : l’orientation professionnelle, les enseignements interdisciplinaires et le renforcement de l’estime et la confiance en soi. Les choix pédagogiques s’inscrivent dans le courant des pédagogies actives.
2Le but de cette recherche est de mieux comprendre les propositions didactiques transversales aux trois pôles, sous l’angle de la langue première et de l’inclusion sociale et professionnelle. Dans cet article, nous resserrons la focale sur l’analyse de propositions didactiques en français écrit et étudions la manière dont l’écrit est abordé dans les apprentissages, compte tenu des troubles du spectre « dys » : quelles sont les pratiques pédagogiques qui engagent les élèves dans les activités, dans la visée de leur inclusion socio-professionnelle ? L’hypothèse est que la prise en compte des représentations sociales de l’écrit, et dans ce prolongement, la mise en place d’un trio « sens, confiance et créativité », fil d’Ariane des pratiques pédagogiques, permettraient de mieux prendre en compte les acquis littéraciques disponibles dans la classe et seraient ainsi un point d’appui aux apprentissages.
3Dans la première partie de cet article, nous présentons le cadre théorique et abordons l’inclusion socio-professionnelle et les troubles d’apprentissage sous l’angle des littéracies, de la complexité et de la place occupée par l’écrit dans les institutions. La seconde partie est consacrée à la méthode de recherche et à la nature des données collectées. Nous présentons les résultats et l’analyse dans la troisième partie. Les discours des intervenantes sur les pratiques pédagogiques sont mis en vis‑à‑vis avec les discours et les pratiques à l’écrit des élèves atteints de troubles « dys ».
1. Littéracies, inclusion socio-professionnelle et troubles « dys »
1.1. Littéracies et continuum entre oral et écrit
4Les littéracies désignent à la fois un « ensemble d’habiletés comportementales et intellectuelles incorporées (par le scripteur et le lecteur), un système d’objets et de dispositifs (crayon ou ordinateur, bureau ou bibliothèque), un régime de certification sociale (les « papiers », les dossiers) et d’affiliation symbolique (les savoirs fondamentaux, les savants) » (Privat, 2015, p. 116). Cette définition propose une approche globale de l’écrit et souligne la matérialité de l’écriture et son impact sur les modes d’organisations sociales contemporains (Goody, 2006). Si la fonction de l’oral se rapproche de celle de l’écrit dans les formes verbales qui consistent à décrire, observer et adopter une position « méta », l’écrit rend visible le raisonnement. Les opérations mentales comme lister, classer, trier, hiérarchiser font appel au langage intérieur et relèvent davantage de l’oral. Ainsi, les deux ordres, scriptural et oral, s’inscrivent dans une continuité (Peytard, 1970) et contribuent à élaborer un raisonnement. Soulignons que les pratiques d’écriture et de lecture varient d’un espace social à un autre et certaines sont plus valorisées que d’autres. Le lieu de formation initiale et continue permet d’aborder cet aspect de l’écrit de manière explicite, de développer de nouveaux savoirs et savoir-faire et ainsi de favoriser l’inclusion sociale.
1.2. Place et enjeux de l’écrit en milieu scolaire et professionnel
5La réussite scolaire et, dans son prolongement, l’inclusion socio-professionnelle sont adossées à l’appropriation de savoirs et savoir-faire spécifiques mais également des codes et normes socio-culturels de l’écrit (Dabène, 1992). Durant la scolarité, il s’agit de s’approprier la langue écrite tant sur les plans pragmatique, sémantique, syntaxique et textuel que de celui des représentations sociales qui se construisent et évoluent au fil des apprentissages. En plus de développer la compétence langagière écrite, il s’agit également de s’approprier les codes socio-culturels de l’écrit qui mobilisent les capacités à décrire, expliciter une procédure ou encore exposer et argumenter un point de vue et ainsi porter un regard distancié sur les situations vécues, ce qui implique de développer un « certain type de rapport au langage » (Lahire, 2000, p. 257). En contexte scolaire, l’écriture et la lecture sont donc envisagées comme des tremplins vers le développement des capacités d’abstraction et de prise de distance avec les objets.
6De même, les situations et pratiques de lecture et d’écriture professionnelles supposent l’appropriation de codes et normes. Ainsi, les études sur le langage au travail montrent que les actes langagiers s’imbriquent dans les tâches professionnelles (Boutet & Gardin, 2001). La mise en place des normes de qualité dès la fin des années 1970 en France et par la suite, d’hygiène, de sécurité et environnementales, dans l’ensemble des secteurs d’activité professionnelle contribue à considérablement augmenter les tâches de lecture et d’écriture. Le personnel, y compris le moins qualifié, est conduit à compléter des formulaires pour rendre compte de l’accomplissement d’une tâche ou demander du matériel, consulter un planning, lire des procédures, des notes de service et d’autres documents (Lachaud, 2014). De plus, les écrits professionnels se caractérisent par une grande variété de supports et de formes sémiotiques telles que textes, chiffres, représentations graphiques, schémas et couleurs (Lachaud, 2021). Les informations écrites sont reliées à des implicites issus du contexte d’utilisation, essentiellement transmis à l’oral. Enfin, les pratiques de lecture et d’écriture varient dans le temps, d’un lieu à un autre, et du fait de leur traçabilité, peuvent engager la responsabilité morale voire juridique.
7Au travail comme en formation, les tâches sont donc adossées à de nombreuses opérations de lecture et d’écriture. Or, les troubles des apprentissages « dys » présentent des difficultés qui ont un impact sur la réalisation et le vécu de ces tâches. Les troubles spécifiques d’apprentissage avec déficit en lecture entrainent des difficultés à associer graphèmes et phonèmes et une impossibilité à lire les mots de manière globale (Mikaeloff et al, 2017). Le décodage est ralenti, nécessite de l’attention et des efforts au détriment de l’accès au sens. Aussi, les intervenants et intervenantes des formations initiales et continues peuvent avoir des réticences à axer leurs propositions pédagogiques directement sur l’écrit, alors que la connaissance et les savoir-faire des codes langagiers sont indispensables à l’inclusion socio-professionnelle.
1.3. Inclusion sociale et rapport à l’écrit
8L’inclusion est envisagée ici dans son versant positif (Bouquet, 2015) c’est-à-dire dans le sens de procurer les moyens de s’insérer et de participer dans des espaces sociaux variés, dont le milieu professionnel. L’organisation et les échanges sont impactés par l’écrit, l’inclusion représente donc le processus qui permet l’accès aux normes et aux codes sociaux de l’écrit. Inclure revient ainsi à procurer les moyens d’agir dans une société dans laquelle l’écrit est prépondérant, en vue de l’émancipation sociale des personnes (Freire, Dupau, Kerhoas & Pereira, 2021 ; Broussal, 2019). Dans cette perspective, l’inclusion d’élèves atteints de troubles des apprentissages « dys » suppose un engagement dans les activités pédagogiques autant de la part des intervenants et intervenantes que de la part des élèves. S’engager s’entend ici comme le fait de prendre part, de participer, d’agir en mettant la focale sur les potentialités des élèves (Teko & de Amaral, 2022). La formation représente donc pour ces élèves un espace dans lequel il est possible d’apprendre à « penser par soi-même » en vue d’« un dialogue constant entre émancipation et insertion » (Broussal, 2019, p. 29), de soi vers le collectif et inversement.
9Enfin, en plus d’étendre les connaissances, la formation est un espace social fortement littéracié qui privilégie la réflexivité et la confrontation des points de vue et représentations (Guernier, Lachaud & Sautot, 2015 ; Guernier & Sautot (dir.), 2017). Ainsi, les pratiques et choix pédagogiques peuvent être impactés par la conception et les représentations sociales qu’ont les intervenants et intervenantes du rapport à l’écrit des élèves (Barré-de Miniac, 2002). Pour étudier le rapport à l’écrit d’élèves atteints troubles des apprentissages, nous adossons notre analyse sur quatre dimensions observables, définies par C. Barré-de Miniac (2000), qui incluent les représentations sociales comme des éléments constitutifs de la compétence langagière (Dabène, 1992). Nous portons notre regard sur les pratiques de lecture et d’écriture dans la classe et en dehors, à partir de l’investissement des élèves, de la manière dont les intervenants et intervenantes proposent d’engager les élèves dans ce type de tâches et de la dimension psychoaffective. Cette dimension peut avoir un impact sur l’investissement des apprentissages (Barth & de Ketele, 2015). Elle est abordée à partir de l’intérêt et de la confiance exprimés par les élèves et observés par les intervenants et intervenantes lors des activités pédagogiques. Dans cette perspective, la relation pédagogique est considérée comme un élément de la réciprocité de l’engagement qui permet d’associer le sens et l’affect, et de considérer « émotion et pensée » comme des éléments indissociables des apprentissages (Barth, 2013, p. 113 ; Mariscalchi, 2023).
10De fait, dans cette recherche, l’écrit est envisagé dans sa complexité selon les apports sur les littéracies (Fraenkel & Mbodj, 2010), à partir de sa relation à l’oral mais également de la dimension socio-culturelle (Lahire, Bertrand, Bois, et Court, 2019). L’espace de formation représenté par la classe est un lieu où le développement de savoirs et savoir-faire vise l’inclusion socio-professionnelle des élèves atteints de troubles des apprentissages « dys ».
2. Méthode de recherche : recueil croisé auprès d’intervenantes et élèves
11La recherche est qualitative. Les données sont recueillies au sein de deux classes d’un même dispositif de formation prépa-apprentissage, réparties sur deux années scolaires (2020‑2021 et 2021‑2022). Les entretiens sont semi-directifs et font appel aux techniques d’aide à l’explicitation (Vermersch, 1994‑2019). Ils sont menés auprès de neuf élèves, au début, en fin de parcours et un an après leur sortie du dispositif. Le français est leur langue première et le profil de ces élèves est représentatif de celui de la classe. Ils sont respectivement âgés de 16 ans (3 élèves), 17 ans (2 élèves), 18 ans (2 élèves) et 19 ans (2 élèves). Chaque entretien dure en moyenne une heure pour les deux premiers et trente minutes pour le troisième soit au total, un peu plus de vingt heures. Des entretiens sont également menés auprès de cinq intervenantes durant l’année scolaire pour une durée d’environ une heure trente chacun, soit au total environ huit heures. Tous les entretiens sont transcrits au mot près.
12En complément, nous avons observé trois séances pour une durée totale de neuf à dix heures. Une collecte de productions écrites ainsi que deux mises en situation de lecture par élèves, réalisées en début et fin d’année, complètent ce corpus.
13Les entretiens menés auprès des intervenantes permettent, d’une part, de recueillir des discours sur les représentations qu’elles ont du rapport à l’écrit des élèves. D’autre part, des moments d’explicitation renseignent sur les procédures mises en œuvre durant leur pratique pédagogique. Les données informent également sur les choix pédagogiques (méthode, supports, organisation spatiale et temporelle), la place accordée à l’écrit ainsi que la manière dont les intervenantes identifient l’engagement des élèves dans les activités.
14Les entretiens menés auprès des élèves portent, d’une part, sur ce qui contribue à leur engagement dans le dispositif, ce qui leur a donné envie de s’inscrire, leurs attentes et ce qui les aide dans les apprentissages. D’autre part, ils informent de leur rapport à l’écrit : pratiques, vécu et stratégies de lecture et d’écriture. Les productions écrites et mises en situation de lecture apportent des informations complémentaires sur leurs compétences mobilisées à l’écrit dès leur entrée dans le dispositif de formation.
3. Résultats et analyse sociodidactique de l’écrit
15Afin d’aborder ce qui engage les élèves dans les activités pédagogiques, interrogeons-nous sur ce qui les amène à s’inscrire dans ce dispositif. La plupart ont été informés de l’existence de cette classe par une relation, un parent, une structure d’insertion professionnelle, les réseaux sociaux ou encore un média local.
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Les propos des personnes interviewées sont transcrits au mot près et inscrits entre guillemets, la ponctuation est ajoutée pour faciliter la lecture. Les prénoms sont anonymisés.
16Les attentes des élèves peuvent être rassemblées selon trois catégories : l’orientation, les enseignements et prendre soin de soi. En début de parcours, certains élèves expriment des souhaits concrets quant à leur orientation comme Louise (17 ans) qui aimerait trouver « un endroit (savoir où) aller l’année prochaine2 » et Raphaël (16 ans) qui précise à propos du choix d’une profession : « moi il me faut un truc qui bouge, je ne peux pas rester derrière un bureau ». D’autres souhaitent des apports relatifs aux enseignements généraux comme Nicolas (18 ans) qui aimerait se « remettre à un bon niveau en mathématiques » et Louis (16 ans) qui indique qu’il s’agit de « l’unique chance (…) pour (…) trouver des écoles (et) entrer dans un cadre scolaire ». Ce dernier a été scolarisé à domicile. D’autres attentes sont orientées vers soi, « prendre soin de moi […] je sais pas vraiment ce que je veux faire l’année prochaine » (Clémentine, 19 ans) ; « m’aider à reprendre confiance en moi » (Aurélien, 19 ans et Sarah, 16 ans). Enfin, d’autres perspectives sont plus évasives : « je n’allais plus en cours (…) je cherchais des offres d’emploi (…) j’ai un peu la phobie du groupe » (Camille, 17 ans) et Quentin (18 ans) ; « j’avais rien (…) j’ai dit vas-y (…) je trouverai peut-être un truc après, je verrai » ; « moi qui étais au bout du rouleau, vraiment j’avais rien pour cette année » (Sarah, 16 ans). La prise en compte des troubles « dys » est évoquée par Louis et Aurélien.
17Bien que certaines soient plus précises que d’autres, ces attentes s’inscrivent globalement dans les objectifs de la classe prépa-apprentissage, à savoir : élaborer un projet professionnel en vue d’une formation ou d’un emploi, aborder les enseignements généraux et renforcer estime et confiance en soi.
3.1. Statuts de l’écrit dans les intentions et pratiques pédagogiques
18Lorsqu’elles préparent leurs interventions, les intervenantes orientent leurs choix pédagogiques selon trois directions : l’animation, les objectifs et les élèves. Leurs pratiques découlent de ces intentions et sont reliées aux usages de l’écrit dans la classe.
3.1.1. L’oral pour mettre en confiance
19Dans un premier ensemble orienté vers l’animation pédagogique, le groupe et la mise en confiance, les intervenantes comme Florence et Caroline disent « amener du ludique », proposer des activités basées sur le « défi » ou des « situations problèmes » et utilisent la modalité du « brainstorming ». Dans ces activités, l’oral est privilégié afin d’« instaurer une confiance ». Florence insiste particulièrement sur la prise de parole lors des premières séances car « c’est le summum parce que ça veut dire qu’elle (l’élève) est sortie de son cadre de confort cent fois plus que par l’écriture » et ajoute « comme je sais qu’ils ont des difficultés à l’écriture je me suis dit je vais pas leur prendre la tête avec ça ».
20Une troisième intervenante indique à propos d’une tâche d’écriture prévue dans un protocole d’orientation : « j’étais inquiète parce que je me (suis) dis(t), prépa-apprentissage dys, l’écriture ils vont partir à reculons » (Isabelle). La consigne qu’elle leur a donnée était d’écrire un récit imaginaire d’environ dix lignes, au présent et sans dialogue. Elle a indiqué que « l’orthographe ne compte pas ». Une amorce leur propose de raconter leur « séjour » sur une ile où ils auraient été déposés lors d’un voyage avec des amis. À l’issue de cette activité rendue obligatoire par la passation du protocole d’orientation, l’intervenante exprime sa surprise car tous les élèves ont écrit. Elle constate qu’ils « ont pris du temps pour écrire », qu’ils ont écrit « avec plaisir » et que « le texte est construit ».
21Dans ce prolongement, à propos d’une activité pédagogique de type « énigme à résoudre » durant laquelle elle anime un « brainstorming », Caroline indique qu’une prochaine fois, elle proposerait à un élève de prendre son « rôle d’assistante, s’il avait envie d’écrire lui-même au tableau ». Il s’agit d’une activité durant laquelle elle a écrit « au tableau les différentes étapes (pour préciser) où on en est ». Elle a ensuite demandé de « transcrire » les idées émises à l’oral. Pour cela, elle propose aux élèves de « dicter sur (leur) téléphone ou d’écrire directement sur l’ordinateur » et « s’il y a quelque chose qu’on (ne) sait pas on peut le trouver sur Internet ».
22Dans ce premier ensemble de choix pédagogiques, les prises de parole à l’oral et les interactions dans le groupe sont privilégiées par les intervenantes. À ce propos, Caroline ajoute au cours de l’entretien : « on a tellement voulu les mettre en confiance par rapport à leur trouble dys, qu’on a beaucoup mis de côté la lecture et l’écriture ». Ainsi, ces exemples soulignent, d’une part, le point de vue des intervenantes sur le rapport à l’écrit des élèves et leur impact sur les usages de l’écrit dans la classe. D’autre part, il est à noter que les élèves investissent la tâche d’écriture du récit imaginaire.
3.1.2. Étayage des usages de l’écrit
23Dans une seconde catégorie, nous rassemblons les intentions pédagogiques de deux intervenantes qui sont orientées vers les objectifs des élèves et du dispositif de formation.
24Elsa indique lorsqu’elle prépare une séance : « je remplis mentalement une espèce de tableau dans ma tête pour que ça colle aux objectifs de développement de connaissances et de compétences et je pense ensuite à chaque jeune et j’imagine chaque jeune, ou chaque typologie de jeunes, par rapport à leurs difficultés (puis) je retourne dans le tableau (et) je pense à des outils adaptés à la compensation possible ». Dans sa pratique, l’intervenante observe que certains élèves « refusent de passer par l’écrit » alors que d’autres « ont besoin de catégoriser leurs idées donc de faire des tableaux », « écrivent des mots à main levée » ou « (ne) passent que par l’ordinateur » ou encore « font des cartes mentales ». Elle propose de « garder la trace des activités » menées à l’oral « dans l’ordinateur ou dans la classe, visuellement ». Elle mobilise des outils de compensation et d’aide à l’écriture tels que des logiciels et la « reconnaissance vocale depuis n’importe quel ordinateur » afin « qu’ils sortent autonomes » du dispositif.
25Pour « la remise à niveau », une seconde intervenante, Charlotte, propose d’écrire en vue de « garder une trace » d’activités menées à l’oral mais « c’est jamais systématique ». Les élèves utilisent l’ordinateur et le traitement de texte, écrivent sur une « fiche cartonnée », dessinent « une carte mentale », complètent « des tableaux à remplir avec des notions de grammaire ».
26Dans cette seconde catégorie, les pratiques à l’écrit sont davantage présentes que dans la précédente. L’écriture prend des formes variées, elle est proposée avec des aides et des outils de compensation et est envisagée pour sa fonction de mémorisation.
3.1.3. Relier oral et écrit
27Dans le troisième ensemble se trouvent des intentions dirigées vers la connaissance de soi et des élèves. Ainsi, une intervenante indique être particulièrement attentive à une « préparation psychologique » qui consiste à « savoir que t’as quelque chose de prévu et que ça va se passer absolument différemment ». Cela lui permet « de (ne) pas avoir la pression », d’adapter l’animation dans l’instant tout en conservant son « objectif incontournable » (Caroline).
28Une autre intervenante insiste sur le fait d’accompagner les élèves à mieux se connaître : « comment chacun (élève) peut identifier à la fois ses potentiels et ses difficultés pour se positionner » et « savoir se connaître, savoir qui on est, savoir ce qu’on est capable de faire, ce qu’on n’est pas capable de faire (du fait des troubles des apprentissages et) pouvoir le nommer » (Charlotte). Dans cette perspective, elle utilise un « cahier de réussites transversal à toutes les activités ». Il s’agit « volontairement (d’)un cahier de dessin ». Il est complété individuellement. Les élèves peuvent « au choix, écrire, dessiner » et coller « des photos ». Le but est « de montrer que chaque acte du quotidien peut amener à (une) réussite ». Ce cahier est utilisé par l’intervenante pour permettre à l’élève de prendre appui sur des situations positives afin d’en dépasser d’autres plus difficiles à surmonter. Elle cite l’exemple d’une élève qui a collé des « photos de compositions florales » réalisées durant un stage alors qu’elle « s’est découvert une passion, une vraie vocation pour les fleurs ». L’intervenante se sert du cahier pour faire des « parallèles » et rappeler des situations de réussite. Elle « les invite » à les « nommer […] à l’oral » lorsqu’ils rentrent de « stage » ou lors d’autres événements marquants. Les cahiers ne sont pas « forcément » partagés dans la classe. La fonction du support écrit est ici dédiée à la mise en conscience et en confiance. Dans cette même intention, la lecture est abordée en groupe avec des « documents adaptés (aux troubles dys) en termes de présentation (et) de couleur ». Le but est de « ne pas mettre (les élèves) en difficulté ».
29De même que dans la précédente catégorie, l’usage de l’écrit est proposé avec un étayage mais dans celle-ci, les élèves utilisent d’autres moyens d’expression. L’autonomie et l’imaginaire sont davantage sollicités. L’oral est une nouvelle fois mobilisé pour rassurer et mettre en confiance mais également dans une dimension réflexive par le fait de nommer, décrire et « se positionner ».
Tableau 1 – Synthèse des attentes des élèves et des intentions pédagogiques
Attentes des élèves concernant la formation |
Intentions des intervenantes |
Attentes relatives à l’orientation : Savoir où « aller l’année prochaine » Louise (17 ans) « il me faut un truc qui bouge, je ne peux pas rester derrière un bureau » (Raphaël, 16 ans) |
Animation pédagogique : « amener du ludique (…) quelque chose qui est participatif (pas) trop compliqué à intégrer » (Florence) Des activités basées sur le « défi » ; des « situations problèmes » avec « brainstorming » (Caroline) Objectifs de formation : « la découverte de leurs évocations (mentales) » (Isabelle) « je remplis mentalement une espèce de tableau dans ma tête pour que ça colle aux objectifs de développement de connaissances et de compétences et je pense ensuite à chaque jeune (…) par rapport à leur difficulté (puis) je retourne dans le tableau (et) je pense à des outils adaptés à la compensation possible » (Elsa) Les élèves et le groupe : Une « préparation psychologique (…) savoir que t’as quelque chose de prévu et que ça va se passer absolument différemment » (Caroline) « j’ai été très attentive à la relation à l’autre et à comment chacun peut identifier à la fois ses potentiels et ses difficultés pour se positionner » (Charlotte) |
Attentes relatives aux contenus de formation : Se « remettre à un bon niveau en mathématiques » (Nicolas 18 ans) « trouver des écoles » (Louis 16 ans) |
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Attentes relatives à soi et autres : « prendre soin de moi (…) je sais pas vraiment ce que je veux faire l’année prochaine » (Clémentine, 19 ans) « m’aider à reprendre confiance en moi » (Aurélien, 19 ans et Sarah, 16 ans) « je n’allais plus en cours (…) je cherchais des offres d’emploi » (Camille, 17 ans et Quentin, 18 ans) « j’avais rien (…) j’ai dit vas-y (…) je trouverai peut-être un truc après, je verrai » ; « moi qui étais au bout du rouleau, vraiment j’avais rien pour cette année » (Sarah, 16 ans) |
3.2. Engagement des élèves dans les activités pédagogiques
30Les intervenantes observent l’engagement des élèves dans la réalisation des activités, l’utilisation des outils et matériels proposés. Elles sont également attentives à leur attitude dans le groupe tels que le fait d’être présent et de respecter les horaires.
3.2.1 Identification de l’engagement des élèves dans la classe
31Parmi les marques d’engagement observées par les intervenantes lors des activités pédagogiques, certaines relèvent des actes langagiers comme répondre aux questions et prendre part aux échanges verbaux ainsi que l’activité cognitive associée à l’écoute. Une intervenante décrit ainsi ce qu’elle observe : « j’ai senti qu’ils écoutaient […] quand je lui parlais je voyais les yeux qui partent […] sur le questionnement de ce qu’il faisait, il répondait » (Florence).
32L’engagement est également évoqué lorsque les intervenantes identifient une évolution dans les apprentissages, quand elles repèrent qu’ils « osent faire les choses » (Florence) et « demander de l’aide » (Charlotte). Elles identifient aussi leur engagement lorsqu’ils « disent ce qu’ils ne comprennent pas » et qu’ils répondent à la question « comment » pour expliciter une procédure, par exemple « comment ils ont fait pour apprendre » (Isabelle).
33Charlotte cite l’exemple de la lecture d’un document et souligne que ne pas « attendre de l’aide, ne pas rester dans l’incertitude » est un « critère d’autonomie ». Elle considère que les élèves n’apprécient pas forcément plus la lecture des documents mais « les appréhendent moins ». Ces propos peuvent être rapprochés des attentes des élèves quant à la reprise de confiance même si, comme le souligne A. Mariscalchi, l’expression de la confiance est « difficile à illustrer » (2023, p. 227). Il est toutefois possible de relever des indicateurs tels que la réalisation des tâches proposées, prendre le risque de faire des erreurs et exprimer ses ressentis.
34De plus, l’analyse des entretiens menés auprès des élèves en fin de parcours et un an après leur sortie du dispositif met en relief la dimension relationnelle comme un élément important, qui les a aidés dans leurs apprentissages. Ils retiennent plus particulièrement l’aide et « l’écoute » (six élèves) des intervenantes, « l’effet de groupe » (Camille), se sentir « accompagné et protégé » (Aurélien). Cinq élèves nomment la confiance : « ravoir confiance en moi » (Aurélien), « reprendre confiance en moi » (Clémentine) comme un facteur essentiel durant le parcours dans le dispositif de formation et plus tard, dans le cadre professionnel. Un an après la fin de son parcours, une élève, employée comme fleuriste, dit qu’elle ose plus facilement demander aux clients « quand par exemple je sais pas comment on écrit quelque chose, je leur pose tout simplement la question je suis pas déstabilisée » (Sarah). Cette prise de position peut être rapprochée de l’intention pédagogique d’une intervenante citée au paragraphe 3.1.2 qui invite les élèves à mieux se connaître et à identifier leurs potentiels et difficultés pour se positionner.
3.2.2. Engagement dans les usages de l’écrit en classe
35Dans l’ensemble, les intervenantes observent des situations dans lesquelles les élèves investissent volontiers les tâches d’écriture. Ainsi, une intervenante constate avec étonnement à propos de trois élèves : « ils ont pris du temps à écrire avec plaisir et (deux élèves) se sont lu leurs textes, elles étaient contentes et là je me suis dit il faut faire des ateliers d’écriture, c’est pas possible » (Isabelle).
36De même, une autre intervenante remarque une facilité à écrire lorsque « trois ou quatre apprenants ont » demandé à écrire « des chansons de rap » (Caroline). Elle ajoute à propos d’une proposition de production de textes narratifs en lien avec les émotions, que certains élèves « ont pris des heures et des heures à écrire ce texte », « pas parce qu’ils trainaient, c’est juste parce qu’ils avaient envie de passer du temps ». Enfin, une autre indique « ils apprécient de lire et d’écrire quand il y a un intérêt pour eux » (Elsa).
37Soulignons que l’investissement observé à travers l’écriture de textes narratifs et d’autres pratiques d’écriture personnelles illustre le continuum scriptural (Peytard, 1970) entre une forme d’écriture qui se construit dans une démarche créative et les attendus des écrits professionnels (Guitton, 2020). La narration et autres formes de productions écrites personnelles représentent un moyen d’activer le processus de créativité et ainsi de permettre l’expression d’un « discours singulier et personnel » (Ibid, p. 56). Ce type d’expression peut constituer un tremplin vers de nouveaux apprentissages et choix linguistiques mais également vers la valorisation des pratiques personnelles et ainsi une meilleure image de soi en tant que scripteur ou scripteuse.
Tableau 2 – Synthèse des usages langagiers dans la classe : de l’oral vers l’écrit
Usages de l’oral : Privilégier l’oral afin d’« instaurer une confiance » ; (la prise de parole lors des premières séances) « c’est le summum parce que ça veut dire qu’elle (l’élève) est sortie de son cadre de confort cent fois plus que par l’écriture » (Florence) Pouvoir « accéder à n’importe quelle reconnaissance vocale depuis n’importe quel ordinateur selon là où ils se trouvent (...) pour qu’ils sortent autonomes » (Elsa) A propos du « brainstorming, je suis secrétaire, j’écris tout au tableau » ; « transcrire » les idées émises à l’oral : « dicter sur (leur) téléphone (ou) écrire directement sur l’ordinateur » (Caroline) |
Représentations et usages de l’écrit : « comme je sais qu’ils ont des difficultés à l’écriture je me suis dit (…) je voulais pas les mettre mal à l’aise avec de l’écriture » (Florence) « j’étais inquiète parce que je me (suis) dis(t), prépa-apprentissage dys, l’écriture ils vont partir à reculons » mais ils « ont pris du temps pour écrire » et « le texte est construit » ; « la seule chose qu’ils ont lue c’est la liste de mots » et un « QCM (…), pour des dys c’est vrai que c’est très très mal fichu » (Isabelle) « ils apprécient de lire et d’écrire quand il y a un intérêt pour eux » (Elsa) « la dernière activité c’était un débat donc il y avait de la recherche (…) et certains ont écrit » ; « (pour) garder la trace des activités » menées à l’oral (Elsa) « c’est facile (de lire) quand c’est pas long (et) quand c’est des phrases courtes » (Caroline) Écrire : « c’est jamais systématique (…) c’est essentiellement dans le cadre de la remise à niveau et dans le (but) de garder une trace » ; utilisation d’un « cahier de réussites transversal à toutes les activités (…) (il) y en a beaucoup qui dessinent (…) (j’ai essayé) de leur faire utiliser un agenda ça a été un fiasco » (Charlotte) « souvent on fait la lecture tous ensemble (…) c’est souvent des documents adaptés (aux troubles dys) » (Charlotte) |
3.3. Pratiques et acquis des élèves à l’écrit
38Quelles sont les pratiques de l’écrit des élèves ? En regard des discours des intervenantes, l’analyse de leurs propos et productions écrites met en relief des acquis en termes de pratiques, d’investissement et de savoir-faire à l’écrit (Lachaud, 2022, 2023).
39Ces derniers relatent un usage personnel et quotidien de l’écrit : lecture de « romans fantastiques », interactions sur les réseaux sociaux, écriture de « pages de présentation de jeux vidéo », d’autobiographie, de journal. L’un d’eux indique : « j’ai essayé plusieurs fois d’écrire des livres ». La fréquence de ces pratiques peut être rapprochée de l’influence du développement du numérique dans la vie sociale qui se manifeste par la multiplication et la démocratisation des usages de l’écrit (Goody, 2006). De plus, les situations d’écriture spontanée supposent la mise en œuvre de « connaissances ignorées » non évoquées par les élèves durant les entretiens (Penloup, 2007, p. 18).
3.3.1. Stratégies et « savoir-faire ignorés » des élèves en écriture
- Note de bas de page 3 :
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Les élèves ont eu la possibilité d’écrire une production selon le thème et le type de leur choix ou une lettre de motivation.
40L’analyse des mises en situation3 d’écriture proposées par la recherche met en exergue des compétences scripturales identifiées dès le début du parcours. Pour l’ensemble des élèves interviewés, les productions sont conformes aux attendus de la situation de communication, la structure est cohérente et malgré quelques implicites, l’accès au sens est possible sans l’aide de l’auteur ou de l’autrice.
41Prenons l’exemple d’Aurélien qui, au moment de l’entretien de début de parcours, dit : « j’ai des problèmes à l’écriture mais j’aime écrire ». Cette remarque invite à interroger les représentations que l’on pourrait avoir de l’impact des troubles des apprentissages sur l’investissement psychoaffectif de l’écriture.
42Ce même élève poursuit et explicite des stratégies mises en place pour écrire. Par exemple, il dit : « plus je bosse avec papier crayon plus les mots que j’apprends rentrent et moins je fais de fautes ». Il ajoute : « j’ai une bonne mémoire. Pour ma dysorthographie, ce que j’essaye de faire c’est de mémoriser les mots et de les épeler avant de les écrire ». En fin de parcours, il dit aussi qu’en plus de retenir le mot sans erreur, « il me faut la signification du mot », ensuite il l’épelle et « arrive à l’écrire ». Il approfondit avec un exemple sur la manière dont il s’y prend quand il écrit facilement : « quand je vais chercher le mot boulanger, j’ai du pain en tête, j’ai une image de pain et après j’ai le mot qui vient, blanc sur un fond noir, c’est comme si je transférais la photo du mot boulanger de ma carte mémoire de mon cerveau à ma main, elle l’écrit tout simplement sans trop se poser de questions, ça vient en lettres, en grosses lettres, en flash. Sur certains mots je vais de plus en plus rapidement ou de moins en moins rapidement, ça dépend aussi de mon état de fatigue ». Un an après la sortie du dispositif de formation, cet élève indique que cette procédure « est rentrée dans une routine qui fait que je n’ai plus besoin de penser à enregistrer un mot […] ça fait un gain d’énergie énorme en fait ». Comme le soulignent A. Mazur-Palandre et F. Chenu dans une étude menée auprès d’élèves avec troubles « dys » à propos de la révision, les élèves « réussissent à aller au-delà de leurs difficultés à l’écrit » en identifiant et agissant sur certains types d’erreurs (2020, p. 13). Ainsi, cet exemple met en évidence la capacité à verbaliser et analyser une procédure. Pour certains élèves, mieux connaître son fonctionnement cognitif ainsi que l’impact des troubles « dys » sur les tâches à l’écrit peut favoriser les apprentissages.
43L’analyse de la production écrite par cet élève, recueillie en début de parcours, conforte également la mise en place des stratégies qu’il décrit. Il a choisi d’écrire un récit d’invention. Adoptant une écriture manuscrite, il souligne : « j’ai jamais aimé l’ordi […] j’ai jamais trop aimé la facilité en fait ». Son texte comporte des erreurs d’orthographe qui ne gênent ni l’accès au sens du texte ni l’expression. Par ailleurs, sa production est conforme à la situation d’écriture, l’effet est réussi, il utilise un vocabulaire spécifique, le système de temps est pertinent, les verbes placés en début de phrase guident la progression du récit et les informations sont cohérentes. Cela constitue autant de savoir-faire qui peuvent être valorisés dans la classe et favoriser son autonomie par une meilleure connaissance de ses processus d’apprentissage ; ceci, en lien avec les intentions pédagogiques qui visent à instaurer un climat de confiance.
44Dans cette continuité, un autre élève (Louis) décrit lors de l’entretien de fin de parcours une situation dans laquelle il s’est trouvé plus à l’aise à l’écrit car il a su mettre en place une stratégie acquise en cours de formation. Stagiaire à la réception d’un hôtel, il a pu noter avec précision et rapidement les demandes d’un client à l’aide d’un traitement de texte. Il indique que cet outil lui évite des erreurs de relecture car il dit « mal écrire », c’est-à-dire écrire « lentement » avec des lettres difficiles à relire, et ne « pas noter toutes les infos ». Cet exemple illustre l’imbrication du langage avec les tâches de travail et peut être rapproché de l’intention d’une intervenante citée au paragraphe précédent qui propose l’utilisation de l’ordinateur dans des situations et interfaces variées afin que les élèves soient autonomes quel que soit l’outil. Notons également que cette situation d’écriture implique une série d’opérations cognitives complexes réalisées simultanément autant en réception orale qu’en production écrite (Piolat, 2010).
3.3.2. Le sens au centre des pratiques personnelles des élèves en lecture
45Concernant la lecture, tous les élèves disent lire et comme on peut le constater dans le Tableau 3 ci-après, les pratiques sont variées. Soulignons que Raphaël, qui dit ne pas aimer lire, constate toutefois que lorsque « c’est facile », « s’il y a un truc intéressant c’est pas un souci, je le lis mais il faut que ça soit court ». Il ajoute que s’il est « pris dans l’histoire, ça (l’)aide beaucoup » et qu’il peut lire la page « quatre fois ».
- Note de bas de page 4 :
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Un protocole de sécurité de deux pages, contenant essentiellement du texte et quelques illustrations comme un plan de circulation et des pictogrammes, une grille de tarif présentée sous la forme de tableaux à double entrée associée à une carte géographique, une affiche d’utilisation des équipements de protection individuelle avec liste numérotée et du texte illustré de représentations graphiques.
46Les mises en situation de lecture réalisées avec des documents professionnels4 complètent ces discours sur les pratiques de lecture. Dans l’ensemble, les élèves mobilisent des savoir-faire qui permettent l’accès au sens tels que le repérage d’indices qui les aident à élaborer le sens global des supports. Ainsi, ils se repèrent dans la structuration des documents, identifient les informations clés et les vérifient. Ils citent les titres, la typographie, les listes numérotées, les illustrations comme des aides à la lecture. De fait, l’un d’eux indique que « les titres en couleurs ça permet surtout de vite trouver le paragraphe » et comprendre l’affiche et c’est « plutôt facile parce que toutes les étapes sont rangées par case ».
47Seul le manque de connaissances sur le contexte du document, en lien avec celles du monde professionnel, peut induire des erreurs d’interprétation chez la plupart des élèves. Cela confirme l’intérêt d’aborder le contexte et les implicites des écrits professionnels qui se caractérisent par l’imbrication de l’oral dans l’écrit (Lachaud, 2021). L’explicitation des procédures acquises entre autres durant la scolarité et les remédiations orthophoniques permet la mise en conscience des manières de faire efficaces et aussi des difficultés associées à la lecture (Lederlé, 2007).
Tableau 3 – Synthèse des pratiques et acquis à l’écrit des élèves
Pratiques personnelles à l’écrit |
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Pratiques de lecture : Romans « genre fantastique policier » (Louise) « je me jette sur la règle (jeu de société) pour savoir comment elle marche » ; des « sites internet pour de la recherche » ; « des romans, des mangas, des trucs des forums d’actualité » (Nicolas) Livres du « club des baby-sitters » (Camille) « je lis beaucoup de BD » (Quentin, Louise, Sarah) « je lis plutôt du fantastique (et) des BD en ligne » (Aurélien) « je joue (…) (utilise les) réseaux sociaux » (Quentin) « je lis des articles » (Louise) « (je lis) un peu comme tout le monde, les affiches publicitaires » ; « toutes les informations que je vois » ; « Balzac tous les grands (…) pour moi c’est des lectures que j’adore et je dirais (que) j’ai de la passion à lire » (Louis) |
Pratiques en écriture : « envoyer des messages (avec le téléphone) et internet » (Nicolas) « je suis active (…) sur les réseaux » (Louise) « quand c’est pas les vacances au moins un message par jour » (Louis) « j’écris beaucoup par des messages (...) réseaux sociaux les textos (...) Instagram » (Camille) A écrit « une autobiographie (…) sur mon passé entre guillemets pour essayer d’évacuer (…), j’ai déjà écrit un roman mais que j’ai arrêté (…) j’ai perdu le dossier » ; « j’écris surtout quand je suis en mode réflexion sur des choses » (Clémentine) « j’ai des problèmes à l’écriture mais j’aime écrire » ; « j’ai essayé plusieurs fois de commencer à écrire des livres » ; « j’ai fait aussi beaucoup de pages de présentation de jeu vidéo » (Aurélien) « j’écris plus du tout » (Quentin) « je préfère écrire au clavier » (Raphaël) « des messages (…) des lettres de motivation des cv (...) mais c’est (plus facile) par ordinateur (et) j’écris sur des feuilles (…) pour me vider la tête (…) j’adore ça » (Sarah) |
48Ces pratiques spontanées de l’écrit peuvent servir de points d’appui pour interroger les différentes formes d’écriture sous l’angle de la dimension réflexive et du sens (Penloup, 2017). Il s’agit d’aborder les apprentissages dans une dimension réflexive et de s’interroger avec les élèves sur les implicites de l’écrit, les normes qui varient selon les espaces (famille, travail, formation, vie sociale), les enjeux et impacts associés aux pratiques en lien avec l’appropriation de la langue.
Conclusion : confiance sens et créativité, pistes didactiques
49L’ensemble de ces résultats souligne des représentations concernant le rapport à l’écrit d’élèves avec troubles d’apprentissage du spectre « dys » et de l’attention. Or, malgré les efforts que cela leur demande, du fait des troubles des apprentissages, l’ensemble des élèves ayant participé à cette recherche a des pratiques et mobilise des stratégies efficaces dans les usages de l’écrit. Ces acquis peuvent être réinvestis individuellement pour étayer de nouveaux apprentissages mais aussi être partagés dans le groupe pour créer un espace d’engagement et « d’autonomisation » au sens de se positionner et coconstruire, en lien avec l’élaboration d’une « conscience critique » (Boch, Frier, Rinck, 2021).
50Les différents statuts de l’oral mis en évidence dans les pratiques pédagogiques relevées lors de cette recherche peuvent être explicitement exploités en classe pour étayer les pratiques à l’écrit, notamment celles du cadre professionnel par la valorisation et la mise en conscience des savoirs et savoir-faire. Les centres d’intérêt des élèves peuvent aussi servir de points d’appui à la co-construction d’objets en aide aux apprentissages et aux usages de l’écrit dans la classe et en dehors, et ainsi faire appel à leur créativité.
51Le « contrat d’intersubjectivité vise à créer la confiance mutuelle » et permet aux élèves de s’engager dans le processus d’élaboration de sens (Barth, 2013, p. 117). Il revient donc à placer la compréhension au cœur de la démarche, engager dans un processus d’élaboration de sens concernant les contenus et l’activité elle-même, guider le processus et préparer au réemploi par la métacognition.
52Le sens est également celui de l’écrit et de ses usages. Partir des pratiques des élèves permet notamment de désacraliser l’écriture scolaire devenue le « prototype de l’écriture » (Barré-de Miniac, 2002, p. 3). Dans ce prolongement, une approche pédagogique centrée sur les élèves invite les professionnels à interroger leurs propres représentations et rapport à l’écrit (Barré-de Miniac, 2002).