Charte de l’atelier Trad. Cant. Flam. The Charter of the Trad. Cant. Flam. Workshop
Le présent texte constitue la charte de l’atelier Trad. Cant. Flam., les principes fondamentaux fixés par ses membres : ses objectifs, ses modalités de fonctionnement et la méthodologie mise en œuvre. Le principal objectif est d’offrir au public francophone des chants flamencos traduits en français dans une version chantable : il s’agit donc de transcrire, de traduire et simultanément de tester la chantabilité de ces nouvelles versions françaises, qui sont ensuite enregistrées et diffusées. D’autres objectifs pourront s’y ajouter par la suite, comme danser sur ces traductions dans un style flamenco, quand cela s’y prête, voire chanter et/ou danser à partir de ces textes dans des styles non flamencos. Cela suppose de prêter attention à certaines propriétés des coplas dans la langue source, en vue d’harmoniser les critères de transcription et de traduction. C’est la finalité de cette charte qui se fonde, pour la méthode de traduction, sur le modèle du « pentathlon » proposé par Peter Low (2005).
The paper presents the charter of the Trad. Cant. Flam. workshop: its goals, operating methods and methodology. The main objective of the workshop is to offer the French-speaking audience flamenco songs translated into French in a singable version. It is therefore a matter of transcribing, translating and simultaneously testing the singability of these new French versions, which are then recorded and broadcast. Other objectives are also attained, such as dancing, when suitable, to the translations in a flamenco style or even singing and/or dancing to these in non-flamenco styles. For this purpose, great attention must be paid to some of the properties of coplas in the original language and to harmonise the transcription and translation criteria. These are the goals of the charter, whose translation method is based on the “pentathlon approach to translating songs” proposed by Peter Low (2005).
Introduction
1La présente charte vise à exposer les règles de l’atelier Trad. Cant. Flam. fixées par ses membres pour en faciliter et en optimiser l’activité sur le long terme : elle en définit les objectifs, les modalités de fonctionnement, puis la méthodologie.
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Pour une définition des termes techniques, voir glossaire.
2Quatre raisons principales ont conduit à l’établissement de cette charte : la nécessité d’harmoniser un travail de nature collective, le fait que celui-ci s’inscrive dans la durée, l’objectif de rigueur scientifique et celui de publication. Est donc apparue la nécessité d’établir des critères de transcription et de traduction à la fois communs, pérennes, fiables et transmissibles permettant, dans tous les cas, d’aboutir à une version chantable en français des cantes flamencos1.
3Ces règles ont été élaborées au fil de la pratique : si certaines d’entre elles étaient présentes telles quelles dès le départ, d’autres ont été modifiées ou sont apparues comme nécessaires suite aux réflexions menées en atelier, notamment grâce aux échanges avec les musiciens (chanteurs et instrumentistes). Ces règles pourront donc continuer à évoluer ou être complétées ultérieurement, si besoin.
4Cette charte s’adresse aux membres de l’atelier Trad. Cant. Flam. et à toute personne souhaitant comprendre ses démarches et sa finalité. Elle complète le texte de présentation précédent (dans le même numéro de la revue FLAMME), qui revient sur l’historique de l’atelier Trad. Cant. Flam., rappelle le corpus choisi et précise l’état d’avancement à l’automne 2021.
Logo de l’atelier Trad. Cant. Flam.
Réalisation : Anouck Chan
1. Objectifs
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De nombreux recueils en espagnol sont spécifiquement dédiés ce répertoire depuis la fin du XIXe siècle (Voir par exemple Balmaseda y González, 2019; Cenizo et al., 1992; Fernández Bañuls & Pérez Orozco, 2004; Machado y Álvarez, 1881; Ortiz Nuevo, s. d.). Pour les sites Internet comportant des transcriptions de letras, voir (Canteytoque, 2021; Jafari, 2016; Núñez, 2011).
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Pour des analyses des traductions publiées en français, voir Trancart (2020a, 2020b, 2021). La question de la transcription a été étudiée par Marco Stefanelli dans sa thèse de doctorat, Un chapitre dans l'histoire des représentations phonologiques : les transcriptions des « coplas flamencas » au tournant des XIXe et XXe siècles (2019).
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Martine Joulia reconnaît avoir accueilli le rythme et les rimes des vers lorsqu’ils surgissaient spontanément dans la traduction française mais Vicente Pradal est le seul à indiquer avoir volontairement recherché une certaine poésie (Joulia, 2001; Pradal, 2014; Prieto, 1996). Pradal a même reconnu avoir « essayé de "faire sonner" le poème en s’approchant du cantabile » (2014, p. 10).
5L’atelier Trad. Cant. Flam. poursuit plusieurs objectifs, le premier et le plus important d’entre eux étant de produire des traductions chantables, qui tiennent compte des caractéristiques musicales, prosodiques et poétiques du flamenco. En effet, ce genre est par essence oral, les coplas étant transmises et interprétées vocalement depuis les origines du flamenco, même si une partie d’entre elles a fait l’objet de transcriptions depuis la fin du XIXe siècle. Si les cantes s’inscrivent dans les moules poétiques et musicaux que sont les palos, les transcriptions ne reflètent pas leurs spécificités musicales mais dépendent, en revanche, de paramètres visuels liés à la disposition des vers sur la page. Malgré ces différences et les difficultés qu’implique leur mise à l’écrit, les transcriptions en espagnol sont désormais abondantes, aussi bien dans des recueils imprimés que sur Internet2. En écho à ces productions dans la langue source, un nombre croissant de traducteurs ont proposé des versions écrites en français, en particulier ces dernières décennies, depuis la fin du franquisme3. Néanmoins, seuls quelques-uns d’entre eux ont explicitement prêté attention aux paramètres poétiques de ce répertoire ou, du moins, ont sciemment voulu les faire apparaître dans les versions françaises4. Surtout, aucun n’a fourni de version destinée à être chantée et encore moins de version orale, qui respecterait pourtant l’essence même de ce répertoire, dont les chants s’inscrivent dans des cadres mélodico-rythmiques codifiés, les palos. L’atelier Trad. Cant. Flam. a donc décidé de se lancer dans une entreprise inédite : donner à entendre ses traductions et ce, sans restriction d’audience, puisque les versions françaises enregistrées sont destinées à être publiées dans la revue en open access FLAMME, qui offre un accès libre et gratuit à ces données, dans le respect des droits d’auteur. Les cantes sont ainsi mis à disposition des universitaires et des spécialistes, mais aussi de tous les auditeurs et lecteurs francophones désirant connaître et comprendre les paroles du flamenco. Dès lors, la démarche et les exigences de l’atelier sont scientifiques mais, parce que l’auditoire visé est plus large, il a été décidé de présenter, d’une part, les productions artistiques que sont les versions enregistrées et écrites en français et, d’autre part, à la suite des précédentes, les productions scientifiques (articles et varia), de manière à permettre aux personnes qui voudraient accéder aux seules traductions de ne pas être gênées, dans leur écoute ou leur lecture, par l’abondance de l’appareil critique.
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Pour plus de précisions sur les travaux de Justin Bonnet, par exemple, voir texte précédent « Est-il possible de chanter du flamenco en français ? ».
6À long terme, d’autres finalités seront probablement envisagées pour ces traductions : les versions orales pourraient permettre de danser sur du flamenco en français (un concept de « dansabilité » pourra ainsi à son tour être interrogé). Les versions écrites, quant à elles, pourraient être incluses dans des livrets en accompagnement de CD ou d’autres enregistrements en ligne, par exemple. Elles pourraient aussi servir de sous-titres pour des spectacles flamencos présentés à des francophones. Elles pourraient même être chantées sur d’autres musiques, à savoir sur d’autres palos ou sur des musiques non flamencas, puisque des chanteurs d’autres styles ont déjà exprimé leur intérêt en ce sens5.
2. Fonctionnement de l’atelier Trad. Cant. Flam.
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Le lien de connexion, ouvert à toute personne intéressée est https://join.skype.com/aGXcwBTp74HS.
7Fondé au sein du laboratoire Espaces Humains et Interactions Culturelles de l’université de Limoges (EHIC – EA 1087), Trad. Cant. Flam. s’inspire des ateliers du Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine de l’université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 (CREC – EA 2292) quant à son organisation pratique. Les rencontres ont lieu tous les deux mois, le vendredi, de 16h à 18h6. Par rapport aux ateliers du CREC, une des différences repose sur la modalité hybride ou distancielle, mise en place dès les premières réunions, avec un compte rendu écrit et un enregistrement vidéo des échanges et des prestations chantées, diffusés aux membres, après chaque séance. En outre, les travaux et les archives de l’atelier – traductions, variantes, bibliographie, base de données, affiches, programmes et autres documents de travail – sont rassemblés dans un dossier partagé « Drive », qui est régulièrement mis à jour.
8Lors des séances collectives et entre les réunions, chaque participant est invité à proposer de nouvelles traductions, à chercher des variantes préexistantes en espagnol ou en français, à apporter des éléments d’analyse musicologique, historique, culturelle, littéraire, linguistique ou encore traductologique, ou bien à participer à l’oralisation des textes (chant, accompagnement instrumental, palmas). La pluridisciplinarité, nécessaire, est mise en pratique au sein de l’atelier qui accueille des spécialistes de divers horizons et disciplines : hispanisme, traduction, philosophie, musicologie, histoire, chant, guitare, danse...
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Le répertoire sélectionné initialement par l’atelier est composé des cantes de la Antología del cante flamenco de Perico el del Lunar, enregistrée pour la première fois par Hispavox en 1954 et rééditée par la suite à plusieurs reprises (Perico el del Lunar, 1954, 1958; 1988; 2007). Pour des précisions sur ce corpus, voir texte précédent : « Est-il possible de chanter du flamenco en français ? ».
9En conséquence, les traductions obtenues sont le fruit d’une réflexion collective sur les cantes choisis7. L’on part des enregistrements, en prenant appui sur des transcriptions déjà existantes mais retravaillées en atelier. Puis, pour chaque chant, une traduction écrite est proposée et fait l’objet de discussions, en fonction de sa mise en voix par les artistes. Peu à peu, les versions sont modifiées et amendées jusqu’à obtenir l’aval de l’ensemble des membres. Cette validation est nécessaire pour procéder à un enregistrement, destiné à être diffusé, et qui est analysé en parallèle dans des articles. La discussion se veut ouverte, démocratique (à l’image des ateliers du CREC), tout en visant la rigueur et l’excellence scientifiques. On se doit, en effet, de réfléchir aux différents paramètres requis avant de choisir une version. Plus précisément, deux versions sont retenues : l’une orale et l’autre écrite, sachant qu’elles peuvent différer l’une de l’autre, notamment parce que toutes les répétitions, antépositions ou autres variations orales ne peuvent pas être reflétées dans la transcription. Les versions conservées sont celles qui semblent les plus adéquates à l’ensemble des participants, en fonction des objectifs qui viennent d’être énoncés et de la méthodologie indiquée ci-dessous. Logiquement, la version enregistrée correspond à une traduction relativement proche de celle qui est écrite, mais ce ne sont pas les seules options possibles, c’est-à-dire que d’autres traductions peuvent être considérées comme chantables, y compris pour un même palo. L’appareil critique, formé des articles scientifiques et de quelques notes numérotées en regard des traductions, vise à éclairer au cas par cas les différences entre l’écrit et l’oral (en espagnol comme en français), à apporter les précisions contextuelles et culturelles nécessaires, en particulier sur les variantes existantes, et à aborder des questions de prononciation ou de traduction.
3. Méthodologie
10Au départ, les membres de l’atelier se fondent sur une version chantée en espagnol pour aboutir à une version chantable en français, en étant conscients que ces interprétations ne sont que deux réalisations parmi de nombreuses autres possibles ou ayant effectivement existé. Les cantes sont formés de coplas dont certaines ont déjà fait l’objet de maintes interprétations ou enregistrements. Afin d’adopter une méthodologie claire et traçable d’une séance à l’autre, le protocole suivi est à chaque fois identique :
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Transcription en espagnol de la version orale de référence, par un membre de l’atelier, en amont d’une séance collective.
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Traduction en français à l’écrit, par un membre de l’atelier, également avant une rencontre.
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En atelier, vérification collective de la transcription, de la traduction et test de chantabilité par les musiciens : la traduction évolue en fonction des échanges entre les traducteurs et les artistes, jusqu’à son approbation définitive. Ce processus peut s’étendre sur plusieurs réunions.
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Enregistrement d’une version orale en français, par les artistes, entre deux séances.
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Publication de la traduction écrite approuvée collectivement, de l’enregistrement effectué et de l’appareil critique (articles scientifiques, commentaires et notes), dans un numéro de la revue FLAMME dédié au flamenco.
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Essais de chantabilité des cantes en français : retours d’expérience
11Chacune de ces étapes suppose de suivre une méthode et des règles précises, qui sont détaillées ci-après, en particulier concernant la transcription, la traduction et le contenu de l’appareil critique. Pour ce qui a trait plus spécifiquement au travail des artistes, le document qui suit cette charte propose leur retour d’expérience : il est corédigé par les chanteuses Maguy Naïmi et Chloé Houillon8.
● Transcription en espagnol et en français
12La transcription du livre d’Andrade de Silva (ou livret adjoint aux CD) n’est pas systématiquement adoptée par l’atelier Trad. Cant. Flam., et ce pour deux raisons. La première est que la priorité est donnée aux conventions admises pour les strophes littéraires, telles qu’elles sont traditionnellement reconstituées depuis Antonio Machado y Álvarez (AMA) (1881). La deuxième est que des erreurs ont été repérées dans ce livre, ou des incohérences par rapport à l’enregistrement de l’anthologie. C’est pourquoi ce dernier est privilégié par rapport à la transcription, puisque le premier objectif est d’aboutir à une traduction chantable. La source sonore sert donc logiquement de point de départ. De ce fait, les membres de l’atelier procèdent à une (re)transcription des coplas, à partir de l’enregistrement. Si le texte qui figure dans le livret de l’anthologie se révèle différent de la version chantée, il peut néanmoins être utilisé en complément (dans les articles), dans la mesure où il permet d’éclairer ou de justifier des choix de traduction.
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Voir glossaire.
13Pour la strophe reconstituée, il a été décidé de ne pas écrire les reprises effectuées par les cantaores, mais d’ajouter des notes en regard des traductions, pour pointer les répétitions ou la présence de « lalies »9, par exemple. Il s’agit de transcrire fidèlement la version orale, en respectant autant que possible les usages établis par les recueils antérieurs, tout en évitant de surcharger le texte littéraire, pour préserver l’agrément de la lecture poétique. De même, dans la transcription en français, on n’écrit pas les répétitions audibles dans l’enregistrement afin d’éviter de surcharger le texte.
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Pour une étude sur la question des transcriptions, voir la thèse de Marco Stefanelli (2019).
14Pour des raisons de lisibilité, il a été décidé de respecter les normes morphosyntaxiques de l’espagnol contemporain pour les transcriptions de l’original. Cependant, il est entendu que la prononciation andalouse, qui est récurrente dans les cantes, implique un certain nombre de différences par rapport à la grammaire normative espagnole : la plupart des -s finaux sont élidés ainsi que le -d final ou intervocalique. Des syllabes entières sont parfois omises. Ces spécificités sont dès à présent indiquées comme une constante, de sorte qu’elles n’auront pas besoin d’être listées à chaque occurrence, hormis si elles impliquent la suppression de syllabes entières, car cela a une incidence sur la métrique. Par souci de fidélité, et uniquement quand des syllabes entières sont concernées, on respecte ces particularités liées à la prononciation dans les transcriptions. Les mots concernés sont alors notés en italique et une note est ajoutée en regard, pour expliciter ces syllabes élidées. Par exemple, dans les tangos, Pericón de Cádiz chante « a to lo ojito negro », mais on écrit « a to los ojitos negros » (Perico el del Lunar, 1958), en précisant en note que « to » est chanté à la place de « todos ». Les andalousismes systématiques peuvent être évoqués dans un article scientifique, mais n’apparaissent pas dans le corps du texte, précisément parce qu’ils sont récurrents10.
15De la même manière, pour les traductions à l’écrit, la grammaire française actuelle est respectée, pour l’agrément du lecteur. Certes, dans les enregistrements en français, des marques d’oralité sont perceptibles, comme des « e » muets. Cependant, conformément aux transcriptions en espagnol, on écrit en français selon les règles grammaticales usuelles. Toutefois, en note de bas de page et dans les articles scientifiques, des précisions complémentaires sont ajoutées, lorsque cela est nécessaire. Les « e » muets, par exemple, sont indiqués par des apostrophes, dans l’appareil critique. Par exemple, cela donne, pour la traduction écrite du polo, dans le corps du texte : « Carmona a une fontaine / De quatorze ou quinze jets ». En note, en revanche, l’élision du « e » muet au chant est précisée de la manière suivante : « un’ fontaine ».
16Enfin, pour les transcriptions de la langue source, on s’adapte à l’usage espagnol de mettre des minuscules au début de chaque vers. En revanche, pour les traductions dans la langue cible, on respecte l’usage français de la majuscule en début de vers.
● « Pentathlon » flamenco
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Johan Franzon, qui étudie en détail trois dimensions de la « chantabilité », montre les limites du « pentathlon » de Peter Low, qu’il trouve trop scolaire et auquel il reproche de séparer parfois des paramètres qui sont mêlés dans l’œuvre chantée, et doivent être pris en compte ensemble, et non pas séparément (2015). Cependant, pour un travail de traduction collective, comme celui de l’atelier Trad. Cant. Flam., ce « pentathlon » présente l’avantage d’une méthode claire et rigoureuse, bien qu’il soit nécessaire de l’adapter au genre flamenco.
17Les letras flamencas s’apparentent à de courts poèmes répondant à des règles métriques précises liées aux palos dans lesquels elles sont interprétées. Néanmoins, pour les traduire de manière à ce qu’elles soient chantables, il ne suffit pas de se fonder sur un modèle poétique. Les contraintes sont bien plus nombreuses lorsque le texte est destiné au chant, comme l’ont montré différents chercheurs, dans la lignée des analyses cantologiques menées par Stéphane Hirschi (2005). Si les travaux de Dinda Gorlée sont éclairants pour la musique lyrique, d’autres recherches centrées sur la traduction de la chanson ont également guidé l’atelier, même si elles concernent d’autres styles et genres musicaux, ou la traduction dans d’autres langues (Abbrugiati et al., 2019; Cayuela & Bertonèche, 2020; Gorlée, 2005; Pruvost, 2017; Susam-Saraeva, 2015, 2018). Ces travaux offrent des pistes méthodologiques qui s’avèrent utiles au moment de traduire les chants flamencos en français. L’on s’arrêtera ici plus particulièrement sur les principes du « pentathlon » proposés par Peter Low, car ils sont utiles à l’atelier Trad. Cant. Flam11.
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Pour une définition détaillée du terme singability, voir texte précédent : « Est-il possible de chanter du flamenco en français ? ». Le terme est également présent dans le glossaire.
18En vue de l’objectif ultime de la chantabilité, définie comme « skopos », dans la lignée des fonctionnalistes tels que Hans J. Vermeer, Peter Low souligne la nécessité de chercher à traduire cinq paramètres. Chacun d’entre eux est indispensable pour obtenir des traductions chantables (« singable translations ») : « The Pentathlon Principle states that the evaluation of such translations should be done not in terms of one or two criteria but as an aggregate of all five. » (Low, 2005, p. 184‑185 et 191). Ces cinq dimensions sont respectivement la chantabilité (« Singability »)12, le sens (« Sense »), le naturel (« Naturalness »), le rythme (« Rhythm ») et la métrique (« Rhyme ») (Low, 2005, p. 192). Dans la mesure où il est impossible de respecter totalement ces cinq critères, il convient de fixer des priorités, de manière à sacrifier les paramètres qui pourront l’être, avec le minimum de perte (Low, 2005, p. 186). Il est à noter que selon le cas, ces priorités diffèrent, de sorte qu’il n’existe pas de hiérarchie préétablie ou définitive entre ces cinq critères. Il importe surtout de les traiter tous les cinq, sans en omettre aucun.
19La métaphore du pentathlon est aisément compréhensible grâce à la comparaison avec le domaine sportif : les athlètes doivent faire en sorte d’être performants dans cinq catégories, pour n’être disqualifiés dans aucune d’entre elles. Ils doivent parfois accepter de moins exceller dans l’une des disciplines afin de conserver l’énergie suffisante pour arriver au bout des cinq épreuves. L’une des qualités à développer à un haut niveau est donc la flexibilité. De même, dans le domaine de la traduction des chansons, il s’avère souvent nécessaire de prendre quelques libertés avec l’original, de manière à respecter le plus possible l’ensemble des paramètres requis. Cette approche pratique, fondée sur l’objectif de chantabilité, se présente comme une aide à la traduction, non seulement en tant que stratégie globale, mais également pour les décisions à prendre au cas par cas (Low, 2005, p. 191‑192). Dès lors, le « pentathlon » apparaît comme un soutien utile à l’atelier Trad. Cant. Flam. ; il peut aisément être adapté au cas du flamenco.
– Chantabilité
20Le premier critère du pentathlon à satisfaire est la chantabilité, puisque c’est, en même temps, l’objectif principal à atteindre. Les chanteurs sont en droit d’attendre un matériau utilisable – « a usable product » – qui puisse donner lieu à une véritable performance, à la vitesse requise par l’original (Low, 2005, p. 192). Il faut donc prêter attention aux problèmes de diction, en particulier lorsque le tempo est rapide ou exige, au contraire, des ruptures de mots, en lien avec l’« éclatement de la strophe » propre au chant flamenco, qui est dû notamment aux « lalies », aux pauses, aux répétitions et aux silences susceptibles d’affecter, en nombre variable, la source originale (Leblon, 1995, p. 57‑58). De la sorte, le choix des mots est effectué en fonction de la prosodie française, telle qu’elle peut s’adapter à la musique flamenca, avec une prise en compte, en particulier, des successions de consonnes ou des voyelles accentuées.
21Un autre aspect de la chantabilité est la mise en relief, par la musique, de certains vocables : s’ils sont soulignés dans l’original par une nuance forte ou un allongement des valeurs de notes, par exemple, on tente de les mettre en valeur également dans la version française, par exemple en plaçant au même endroit de la mélodie un mot ou une expression traduisant l’idée forte correspondante (Low, 2005, p. 193).
22De manière à pouvoir vérifier à tout moment la chantabilité des traductions, celles-ci sont systématiquement testées par des cantaores ou cantaoras, spécialistes du genre flamenco. Cette mise à l’épreuve par le chant conduit à réviser la hiérarchie établie au départ entre les différents paramètres dont on tient compte dans toute traduction poétique. Par exemple, lors du workshop du 25 septembre 2020, il est apparu que la régularité métrique des vers ne devait pas être l’axe méthodologique principal, contrairement à ce qui avait été imaginé au départ. Confronter les traductions aux structures mélodiques des cantes permet de mettre l’accent sur d’autres aspects essentiels comme la rime, la position des accents chantés et, parfois, les sonorités des mots français eux-mêmes, notamment pour permettre les mélismes. Un déplacement musicologique de la méthode de traduction de l’atelier s’est donc révélé nécessaire à partir de cette prise de conscience.
– Sens
23L’objectif de rigueur scientifique ainsi que celui de transmission du sens des textes chantés au public impliquent de chercher à rester au plus près de la littéralité. La finalité est de comprendre et de faire passer dans la langue cible la signification des letras avec un maximum de fidélité et de précision. Cependant, une concurrence est susceptible de s’établir entre le respect du sens et la forme musicale des letras, commandée par l’objectif de chantabilité. Alors que dans une traduction non chantée la dimension sémantique est souvent le paramètre principal à observer, dans le cas d’une traduction chantable, elle n’arrive pas en première position, ce qui signifie qu’il est toujours indispensable de la prendre en compte, mais avec une plus grande flexibilité (Low, 2005, p. 194). Des compromis sont nécessaires, comme le remplacement d’un vocable par un synonyme proche, plus précis ou au contraire générique, ou encore par la substitution d’une métaphore par une autre qui serait également fonctionnelle en français. La nécessité de tenir compte du nombre de syllabes et de leur durée dans la phrase chantée ajoute des contraintes qui ne conduiraient pas nécessairement à de tels choix de traduction si l’objectif de chantabilité n’était pas prioritaire. Les accommodements effectués sont expliqués dans les articles commentant les traductions.
– Naturel
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S’ajoute donc une difficulté supplémentaire : on souhaite rentre compréhensible, en français, un texte qui ne l’est pas nécessairement, de prime abord, dans la source originale, pour les hispanophones non habitués au flamenco.
24Un autre critère à respecter correspond à la recherche d’une traduction qui « sonne » de façon naturelle en français, par opposition à une version trop littérale qui paraîtrait étrange ou ridicule. Pour cela, il faut éviter les archaïsmes, mais pas seulement : il est aussi nécessaire de tenir compte du registre de langue et de l’ordre des mots, pour éviter les formulations peu fluides ou les inversions inopportunes. On ne cherche pas l’indulgence d’un lecteur qui serait conscient d’être face à une traduction et dont on attendrait qu’il fasse un effort de compréhension devant un texte très littéral, parce qu’il aurait la possibilité de ralentir sa lecture ou de relire le texte plusieurs fois. Au contraire, le texte étant conçu pour être chanté, sa communication au public doit être de bonne qualité dès son émission : il faut qu’il puisse être compris au fur et à mesure de son énonciation, car le tempo de l’enregistrement ne peut pas être ralenti pour permettre à l’auditeur de mieux saisir le sens des paroles (Low, 2005, p. 195). Cette quête d’une traduction naturelle en français est indispensable dans le cas des cantes flamencos, même s’il s’agit de chants enregistrés, qui peuvent être réécoutés plusieurs fois. Leur efficacité doit être immédiate si l’on veut obtenir l’effet attendu d’une œuvre musicale. À l’inverse, un manque de fluidité exigerait du public un effort supplémentaire de compréhension, alors qu’une grande attention est déjà requise s’agissant de textes pourvus d’une mélodie et d’un rythme plus complexes, plus riches et moins réguliers que dans la communication parlée. À ce sujet, Peter Low se montre intransigeant : « The TT [Target Text] is not worth making unless it can be understood while the song is sung » (Low, 2005, p. 196). La recherche d’expressions idiomatiques en français, correspondant aux lexies figées espagnoles, est à cet égard un point très positif, lorsque cela est possible, et ce, même si les letras originales ne sont elles-mêmes pas toujours immédiatement compréhensibles par les locuteurs hispanophones non initiés au genre13.
- Note de bas de page 14 :
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Et ce, en raison de l’oralisation à l’andalouse ou peut-être d’un haut degré de métaphorisation et de collages qui peuvent transformer une langue populaire en style savant, en particulier dans les letras anciennes.
- Note de bas de page 15 :
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Ou du moins d’une certaine vie quotidienne, faite de nombreux maux et travaux.
25Concernant le langage, les coplas flamencas incluent des éléments relevant d’un registre courant, voire familier. Comme indiqué plus haut, les mots sont fréquemment tronqués14 ; le lexique du quotidien prévaut15 ; certains gitanismes parsèment les textes ; les expressions idiomatiques espagnoles, andalouses ou gitanes sont fréquentes. Sans tomber dans l’écueil du calque – par exemple celui d’une prononciation andalouse ou gitane qui serait en français incompréhensible –, le même esprit est recherché dans les traductions. Les marqueurs d’oralité repérés dans l’original trouvent donc un écho dans la version française, notamment lors de leur mise en musique. En particulier, l’élision du « -e », très fréquente en français à l’oral, est considérée comme une option acceptable, voire recommandée, surtout si elle permet d’obtenir un nombre de syllabes intéressant du point de vue métrique. Comme on l’a précisé antérieurement, la présence de telles élisions effectuées dans les enregistrements est notée par une apostrophe dans les notes et les articles scientifiques. La question du « e » muet est d’autant plus épineuse que les usages évoluent dans le chant ou la chanson en français, de même que pour les accents finaux (Pruvost, 2017, p. 171). Dans certains cas, la stratégie peut alors être d’éviter les « e » muets dans les traductions. Quoi qu’il en soit, ce point est traité au cas par cas, en le pondérant avec les autres critères du pentathlon. En effet, le naturel n’est pas le seul critère à prendre en compte, de sorte qu’il faut toujours le comparer aux autres paramètres pour fixer les priorités, tout en visant, toujours, la plus grande rigueur sur les plans esthétique et scientifique.
– Rythme et mélodie
26Le quatrième paramètre est le rythme, selon Peter Low. Toutefois, Peter Low mentionne aussi la question de la mélodie dans cette partie et il semble opportun d’en tenir compte en même temps. Concernant ces deux aspects, le but visé demeure que la traduction obtenue puisse être interprétée sur le même rythme et la même mélodie que ceux de l’original, en respectant pour chacun des chants choisis le moule préexistant des palos, sachant que ceux-ci offrent simultanément un cadre poétique et musical : le rythme est donc lié à la métrique et, en même temps, à la mélodie.
27Afin de garder le caractère oral des coplas, on essaie de traduire les vers brefs (de arte menor) par d’autres vers courts, de manière à conserver la régularité sonore et le caractère enlevé, toujours dans un souci de chantabilité. Ceci est généralement facilité par des questions prosodiques, le nombre de syllabes en français et en espagnol devant être proche, pour avoir le temps de toutes les prononcer dans le rythme et le tempo voulus. Dans le cas du flamenco, on a remarqué que les cantes libres étaient plus faciles à traduire sous forme de textes versifiés que les cantes a compás. Il faut incessamment creuser cette question de la chantabilité en lien (ou en conflit) avec la traduction poétique (et sa métrique).
28En effet, pour le rythme, une parfaite exactitude entre le nombre de syllabes du texte source et celui du texte cible n’est ni toujours possible, ni toujours souhaitable. En réalité, c’est moins le nombre que l’emplacement des syllabes accentuées qui importe, de manière à obtenir un chant compréhensible et naturel. Dans certains cas, il est préférable d’omettre une syllabe ou d’en ajouter une, par rapport à l’original. Il arrive d’ailleurs que les musiciens-compositeurs eux-mêmes effectuent de telles variations entre deux strophes, au sein d’un même chant, dans la langue source. Ceci est également valable pour la mélodie : « Even changes to the melody are not completely out of the question either. May not a cautious translator sometimes choose deliberately to incur a loss in small melodic detail rather than sacrifice (say) a verbal consideration such as meaning or natural word-order? » (Low, 2005, p. 197). Ainsi, afin d’adapter le texte cible à la mélodie et au rythme originaux, il est même possible d’adjoindre ou d’ôter un mot, de répéter un vocable ou une phrase, ou encore d’ajouter ou de supprimer des notes (de passage) dans la mélodie. L’attention doit toujours être portée, pour ce faire, sur les syllabes accentuées en espagnol, celles qui sont mises en valeur par la mélodie ou le rythme, pour prendre en compte à la fois la hiérarchie des syllabes et celles des notes musicales.
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En réalité, la mise en page du texte poétique ménage une place pour des pauses, qui sont rendues « visibles » sur le blanc de la page, mais celles-ci ne reflètent pas les paramètres des silences de la musique (emplacement et durée, notamment).
29C’est ainsi que le décompte métrique ne doit pas être la seule mesure du rythme, comme l’indique Peter Low : « In any case, syllable-count is not an accurate measure of rhythm. Rhythm in songs is not the same as meter in traditional poetic scansion » (Low, 2005, p. 197). Les accents des mots, mais aussi la longueur des notes – qui peut varier considérablement selon le rythme et le tempo – sont à prendre en compte. Il ne s’agit pas de répliquer la forme métrique de l’espagnol à l’identique, sachant que les formes strophiques et poétiques espagnoles n’ont de toute façon pas d’équivalent en français. Pour atteindre l’objectif final qui consiste à pouvoir chanter les traductions, il faut en outre prêter attention à la façon dont les voyelles sont prononcées, notamment si elles sont rassemblées dans une synalèphe ou une synérèse ou au contraire, si un hiatus ou une diérèse les sépare. De même, la diction des consonnes (et la possibilité même de les prononcer) est une donnée importante. Enfin, il ne faut pas oublier de considérer les pauses et les silences (Low, 2005, p. 198) : s’ils ont une place dans l’original, leur présence sera aussi nécessaire dans la traduction sonore, quoique le texte écrit ne puisse pas les mettre en valeur16. À ce sujet, les spécificités rythmiques du chant flamenco entrent parfois en contradiction avec le paramètre précédent (« Naturalness »), car aux mélismes s’ajoutent des ruptures, y compris au sein de certains mots, étant donné le morcellement de certaines strophes, ce qui ne semble naturel ni en espagnol, ni en français : le cas échéant, il faut donc savoir accepter les heurts occasionnés sur le plan sémantique. Ces éléments sont commentés dans les articles scientifiques, en prenant appui sur la méthode de Bernard Leblon, qui utilise le code suivant :
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les tirets au-dessus d’une voyelle représentent les mélismes ;
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les barres obliques signalent les ruptures et les pauses : elles peuvent être placées au milieu d’une voyelle, qui est alors coupée en deux ;
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des lignes de points figurent les silences, qui entrecoupent les strophes et sont souvent meublés par des séquences musicales à la guitare (Leblon, 1995, p. 57‑58)
30Pour compléter cette question du rythme et de la mélodie, les répétitions, en nombre variable, sont également également évoquées dans les articles et dans les notes de bas de page.
31Par ailleurs, il est à noter qu’une même strophe peut être chantée selon plusieurs palos, et donc s’inscrire dans des formes musicales différentes (par exemple, si le compás n’est pas le même d’un palo à l’autre). Ces variantes musicales sont aussi prises en compte, mais non signalées dans le corps du texte : elles apparaissent plutôt dans les articles critiques.
– Rime et autres paramètres poétiques
32Le dernier paramètre du pentathlon est la rime : « Applying the Pentathlon Principle [...], the rhymes won't have to be as perfect or numerous as in the ST [Source Text], and the original rhyme-scheme need not be observed » (Low, 2005, p. 199). Peter Low donne l’exemple d’un quatrain, qui est parlant pour le flamenco, dans la mesure où dans ce genre esthétique, les coplas sont fréquemment composées de trois ou quatre vers et comportent au moins une rime assonante. Dans un quatrain (quelle que soit la langue), la rime la plus audible, et donc la plus importante, est celle qui se trouve en position finale et clôt la strophe. Toutefois, pour Peter Low, peu importe si ce dernier vers rime avec le premier, le deuxième ou le troisième. La disposition des rimes (suivies, croisées ou embrassées), de même que la présence ou non d’une rime aux deux autres vers peut également être considérée comme secondaire, de même que la qualité de ces rimes (riches ou pauvres). Une rime imparfaite est parfois une meilleure solution, car elle permet une moindre perte sémantique. Peter Low rappelle aussi plusieurs stratégies qui peuvent être adoptées – surtout pour les rimes intermédiaires, moins importantes que les finales : assonances, allitérations, rimes internes ou autres systèmes d’échos peuvent enrichir les répétitions de sons en fin de vers, sans obéir strictement aux règles de la métrique de la langue source ou de la langue cible.
33Ayant conscience des multiples paramètres poétiques présents dans les coplas originales, les membres de l’atelier y prêtent attention de façon différenciée selon les cas : non seulement les rimes mais aussi le rythme poétique et d’autres éléments métriques (longueur des vers, accents secondaires, etc.), les assonances, les allitérations, les paronomases et autres figures de style sonores dans l’original en espagnol sont pris en considération. En français, ils sont traduits par des ressources similaires ou par d’autres moyens, selon la qualité de la sonorité et des images obtenues.
34Du point de vue pratique, les quatre autres paramètres du pentathlon invitent à chercher les meilleures rimes, tout en s’éloignant parfois d’une transposition trop systématique. Par souci d’efficacité et afin de suivre une stratégie collective, on commence souvent par traduire le dernier vers (ou le dernier mot), celui qui rime en espagnol, afin d’éviter de forcer la rime en français et, au contraire, de la faciliter. De plus, comme le préconise Peter Low, il arrive de modifier la disposition des rimes, voire leur nature (passage d’une assonance à une rime riche ou inversement).
● Appareil critique
35Comme évoqué dans la présentation de l’atelier Trad. Cant. Flam. (voir texte précédent), l’appareil critique accompagnant les traductions se trouve en deux endroits : de façon développée, dans les articles scientifiques et, de façon plus réduite, dans les notes en regard des traductions elles-mêmes. Il vise à exposer des problèmes rencontrés dans le travail de transcription et/ou de traduction, dont certains ont pu être totalement résolus ou non, et à éclairer les traductions par des éléments qui ne sont pas directement lisibles ou audibles.
36Les articles, d’abord, comprennent des informations contextuelles et culturelles portant à la fois sur les cantes considérés dans leur généralité (histoire des palos, propriétés musicales) et sur les coplas traduites dans le cadre de l’atelier (éléments biographiques sur les interprètes, précisions sur le fond et la forme, etc.). Sont retenues toutes les données permettant de comprendre le contexte et pouvant offrir des éclairages à l’heure de transcrire et de traduire les coplas. Ces informations comprennent les variantes de transcription et de traduction, dont l’étude peut motiver les choix effectués, en fonction de la priorité donnée à certains critères ou à d’autres. Ces articles comportent aussi des précisions sur les marques d’oralité, qu’on tente de conserver en français. Enfin, ces textes offrent l’occasion de signaler certaines limites des traductions : ambiguïté d’un terme espagnol non apparente dans son correspondant français, déperdition sémantique (par exemple, au profit de la sonorité), inversion de l’ordre des vers, difficulté à trouver des rimes, présence d’intraduisibles (noms propres), etc.
37De plus, les traductions écrites sont accompagnées de quelques notes complémentaires en regard, dont l’objet principal est d’indiquer ce qui est propre à la performance chantée et qui n’est pas transcrit dans le corps du texte, par souci de lisibilité, c’est-à-dire ce qui permet de décrire les différences entre les enregistrements et l’écrit. Il peut s’agir de « lalies », d’interjections ou encore d’antépositions ou de répétitions de mots ou de vers : fréquentes dans le flamenco, celles-ci n’ont généralement pas de conséquence sur le sens des coplas mais affectent de façon importante leur forme, raison pour laquelle elles sont jugées dignes d’être mentionnées en note.
Conclusion
- Note de bas de page 17 :
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Le point de vue du danseur ou de la danseuse sur le rythme pourra apporter un autre éclairage sur les traductions, puisqu’il y aura, dès lors, trois niveaux de rythme à prendre en compte : celui du texte poétique, celui du texte chanté et celui du texte dansé.
38La présente charte définit l’organisation de l’atelier Trad. Cant. Flam., ses objectifs, son fonctionnement, les modalités de travail adoptées par ses membres, de manière à aboutir à des réalisations collectives harmonieuses et cohérentes sur le long terme. Néanmoins, le groupe est amené à évoluer et, peut-être, à adapter ses réflexions et ses pratiques, au fur et à mesure des avancées et des découvertes. En particulier, un objectif ultérieur sera de tester la « dansabilité » des coplas traduites en français. Dans la mesure où l’on tente, à l’heure actuelle, de respecter les paramètres sonores de l’œuvre source, l’on peut penser que le spectacle ne sera pas transformé de façon radicale par le changement de langue. Toutefois, le fait de chanter sur d’autres paroles, sera susceptible d’influencer les danseurs. Il faudra prendre en compte ce sixième paramètre, dû à la dimension visuelle (et rythmique17) de la performance : il sera alors possible d’envisager un « hexathlon », comme Peter Low le préconise pour la traduction d’airs d’opéra, le sixième critère étant alors, dans ce cas, l’efficacité dramatique. Si besoin est, cette charte pourra donc être adaptée aux circonstances, quoique son utilité soit, présentement, de fixer des règles collectives sur lesquelles s’appuie, d’ores et déjà, l’atelier Trad. Cant. Flam.